BUREAU POUR L'ENSEIGNEME!IJT DE LA LANGUE ET DE LA CIVILISATION FRANCAISES A L'ETRANGER ~.!OUVELLES TlRIENTATIONS E0l OIDACTir.1UE DU FRANCAIS LANGUE ETRANGERE La mort du manuel et le déclin de l ' illusion Méthodologique Simulation et réalité dans l ' enseigne~ent des langues vivantes Francis OEBYSEP
BUREAU POUR L'ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE ET DE LA CIVILISATION FRANCAISES A L'ETRANGER NOUVELLES ORIENTATIONS EN OIOACTWUE DU FRANCAIS LANGUE ETRANGERE La mort du manuel et le déclin de l'illusion méthodologique Simulation et réalité dans l'enseignement des langues vivantes Francis OEBYSER
NOUVELLES ORIENTATIONS EN DIDACTIQUE OU FRANCAIS LANGUE ETRANGERE La mort du manuel et le déclin de l'illusion méthodologique Simu.lation et réalité dans l'enseignement des langues vivantes Le paradoxe que nous allons tenter de soutenir dans cet article qui se veut polémique est que, si l'on souhaite que l'enseignement des langues survive, en l'an 2000, dans les écoles, il faut se débarrasser des manuels, de ~OW.. les manuels, anciens ou modernes qu'ils soient, et qu'il faut même reconsidérer d'un point de vue très critique des méthodes récentes, y compris les méthodes audio– visuelles qui semblent aujourd'hui le meilleur instrument d'apprentissage des langues étrangères en situation scolaire. Nous soutiendrons également que le surinvestissement perfectionniste du côté de la méthodologie va finir par aboutir à un blocage de la pédagogie des langues, piétiner c'est-à-dire à , 1 ou regresser. un point d'arrêt devant lequel on ~isque de ne pouvoir que .../ ... 1 Par exemple en refusant la technologie ou la notion même de méthode.
- 2 - Nous sommes en effet actuellement en pleins inflation méthodologique pour le français langue étrangère, et en nous limitant à la seule production française, on voit une quinzaine de méthodes se disputer le marché. Après Va-lx et Imagv., de FMnc.e et BonjoUll Une, le C.R.E.D.I.F. lance Ve V,Lve, Va-lx et achève l'expérimentation de son Niveau 2. Le B.E.L.C. sort F.1tèlte Jac.quv., 3 ainsi que les prolongements des séries méthodologiques à l'usage de l'Afrique francophone (S-luème et C-lnqu,lème, v-Lvan.teo) et de l'Afrique anglophone (P-leJVte et Seydou III et IV sont sous presse). L'équipe de Guy Capelle a complété étape par étape le voiumineux ensemble de La Fnanc.e, en CÜJl.e,c;t dont le 4e degré vient de paraitre. Le "Mauger bleu" a fait peau neuve et changé de couleur,. ou plus exactement fait place à une nouvelle méthode de l'Alliance Française. Le FIU1.nçal6 et la V,le, dont le deuxième niveau·a été récemment publié, S. Moirand et R. Porquier proposent, pour les cours de perfectionnement Le FIU1.nçal6 ac;tuel, enfin G. Zask exp.érimente à Besançon, avant publication, CI v.,;t le pJUn.temp-6 • .Cette ', liste de producticins méthodologiques, que l'on trouve actuellement sur le marché - et nous nous limitons strictement à des méthodes "modernes"-, serait incomplète si l'on n'y ajoutait VoU-6 avez la pall.Ole, ainsi que la Mê.thode, aud-lo-v,ll.,uelle de, 6Ju1.nçal6 de Gubérina Rivenc qui est encore largement utilisés. Nous ne tenterons pas de nous aventurer dans un inventaire de la production de manuels ou de méthodes de français à l'étranger, elle est tout aussi foisonnante bien qu'il ne soit pas évident que l'snssi~nsmsnt du français se développe en proportion. Quant aux bureaux pédagogiques français à l'étranger, il en est bien peu qui ne soient saisis dans l'engrenage d'interminables travaux de Pénélope consistant à adapter les méthodes, à en fabriquer de nouvelles, à les réadapter ensuite et à en mettre d'autres en chantier. Ce développement du "marché" des méthodes ne s'explique pas uniquement par l'inventivité des_pédagogues, .ni par une mode (de beaux esprits parlent de "pédagogite"), ni par la spéculation commerciale, encore que l'interrelation de ces facteurs existe. Ce phénomène v.,;t dû à l'op-ln-lon, domlnan.te depu,LJ., une v-lng.ta-lne d' annêe,1.,, 1., don laquelle c.' v.,;t au n-lveau dv., mê.thodv., que l' -Ln.tenvenUon pédagog-lque en 6aveUll de l' améUolU1.tion dv., né1.,u1.;ta;/;J., dan,1., l' e,n,1., ugnemen.t du 6nançal6 langue ê.tfl.angèfl.e, peu.t ê.tlz.e la plU-6 e66-lc.ac.e. Il fallait, croyait-on, remplacer les mauvais manuels par de ''bonnes méthodes''. Notre propos est le suivant : si nous récusons l'attitude conservatrice ou sceptique qui consiste à ironiser sur le principe même de la réflexion ou de la recherche pédagogique, nous sommes de plus en plus perplexes à l'égard de ce qu'on .. ./ ...
- 3 - pourrait appeler l'illusion méthodologique. En effet, l'intervention centrée sur la méthode nous semble aujourd'hui appeler certaines réflexions critiques a) quant au type même d'intervention pédagogique qu'elle constitue b) quant au bien-fondé du point d'application de l'intervention; c) quant aux conceptions intrinsèques de la plupart des méthodes qui ont vu le jour depuis une quinzaine d'années 1 , et, en particulier, de celles qui semblent à la pointe du progrès, à savoir les méthodes audio-visuelles. Changement pédagogique et métbodologie. Dans une situation d'enseignement donnée, l!action pédag□gique_peut revêtir différentes formes d'intervention que l'on peut différencier selon qu'elles s'opposent au changement, s'y adaptent et le facilitent, ou encore l'induisent. L'intervention c..on..&eJtva..tJu.c.e. cherche à "maintenir", à "restaurer" ou à "rétablir" une situation dont on estime qu'elle se détériore, en empêchant ou en freinant le changement de certains paramètres. Ainsi parle-t-on de restaurer le pouvoir ou le prestige du professeur ou.du chef d'établissement dans l'institution scolaire, .lorsque l'on.estime que la libéralisation de.l'institution est un élément de. chargement.négatif_ ; _ainsi_ parle-taon. de .maintenir .. ou .de. préserver. les posi tians .. du. français. da □ s _le.monde.par. rapport ..à. la .montée ..d~autres .langues .inter□ atio□ ales __ ou.nationales.,_ou.encore, .quand.on _renforce les procédures de sélection d'un concours de recrutement de futurs professeurs de langues vivantes, afin de "maintenir'_' le niveau des élèves maitres, et par suite, des enseignants, L'intervention évolutive prend acte du changement manifeste de certaines données, et prévoit, au lieu de le réduire, de s'y adapteA; par exemple,_dans le cas de. l'enseignement des langues, l'adaptation à des.pbénomènes nouveaux tels que le besoin accru de communication, l'augmentation de la population.scolaire -et sa . diver~:i:fication .sociologique, ou .. encore l'apparition. de moyens technologiques nouveaux (hier.le magnétopbone, demain les vidéo-cassettes), L'intervention d_'adaptation, sous la pression de changements extérieurs, est en fait inéluctable; mais elle suit généralement l'apparition.de difficultés.grave~_plutôt.qu'elle ne.les précède, et, .de.ce fait, .malgré.des.ajustements.de.surface, .est.le.plus.souvent, comme les .étatscmajors,.en.retard.d'une.guerre, .Toutefois.l'intervention évolutive, dans la_ . mesure. où elle porte. sur les brècbes .du. système. (points de _crise ou de difficul t_éJ, les ouvre autant qu'elle les colmate, ce qui explique et, après tout, rend cohérentes les réactions conservatrices, qui considèrent même l'adaptation comme subversive . 1 .. ./ ... Notre agressivité à l'égard des méthodes, comme l'amour maternel selon le poète ("chacun en a sa part et tous l'ont tout entier"), est globale, simplifiée, sans nuance et donc nécessairement injuste çà et là ; tant pis.
- 4 - L'intervention nova;tluee prend l'initiative du changement au lieu de le freiner ou de l'accompagner; elle organise le changement ou simp_l1ament .le provoque, Dans le premier cas, l'intervention devient une programmation du changem§nt. qui vise à le p!aru.6,leJt et à le gé'1.eJt par rapport à des objectifs pré_c;is ; c'est la situation oD se trouvent en général les autorités ministérielles ou académiques, qui se trouvent confrontées à des problèmes de rénovation.pédagogique .(à condition. bien sûr que leur orientation soit réellement novatrice et non simplement évolutive). • 1 Dans.le deuxième cas, l'intervention se limitera à une dynamique p'1.ovoea;tlùee. qui induit le changement sans prendre en charge ses développements. Comment situer le "boum" des nouvelles méthodes dans cette typologie du changement? Elles ne s'inscrivent évidemment pas dans une perspective conservatrice toutefois il semble que la visée des méthodologues ait été davantag§.l'adaptation à des besoins et à des situations nouvelles que la rénovation propr1ament dite. La preuve en est qu'on a changé l'outil - la méthode~ sans trop se soucier du reste, sinon pour assurer la bonne insertion d'une nouvelle instrumentatiqn, exactement comme lorsqù'une entreprise industrielle modernise son équipement, en y adaptant le personnel ; d 'oD les opérations non de formation véritable, mais de 11.e.eyela,ge., .. du personnel destiné à utiliser les nouveaux outils, à savoir les enseignants. Aussi les changements méthodologiques sont-ils restés un problème da didactique coupé de la pédagogie générale dont les grands débats ont à peine effleuré l'enseignement .. ./ ... 1 Dans cette présentation des modèles d'intervention, au sens psychosociologique du terme, les adjectifs "conservatrice" "provocatrice11 , etc., ne sont ni connotés ni; valorisés, même si les ~istinctions ainsi établies ne sont pas innocentes d'un point de vue institutiorinel ou politique; en fait ces distinctions contribuent p~écisément à une lecture institutionnelle di certaines décisions ou de certains changements en éducation. Ainsi la récente réforme du ministère de l'Education Nationale en France est-elle illisible pour le grand public (y compris les ensei– gnants, encore partagés dans des débats se gauche humaniste sur les vertus et les. vices comparés du réformisme ou de la révolution - un beau sujet de baccalauréat inchangé pour l'an 2000 !) dans la mesure oD elle s'inspire directement da modèles nord-américains de gestion du changement (planned change), encore inconnus en France si ce n'est des techniciens des affaires et de quelques spécialistes de l'administration.
- 5 - des langues vivantes. Pendant que,.en d'autres lieux, on s'interrogeait sur la finalité de l'école, la relation au savoir, la fonction pédagogique,_ la relation maître-élève et la dynamique du groupe-classe, les spécialistes de méthodologie des langues vivantes débattaient gravement de l'opportunité de placer le réemploi avant'ou après les exercices de fixation dans les fameux moments de la classe de langue, ou encore si les figurines utilisées au tableau de feutre devaient être en blanc ou en couleur. Au moment où, de toutes parts, l'institution scolaire craquait.et.où.la.pédagogie.centrée.sur.la.méthode.était dénoncée.comme. une des.caractéristiques.de.l'enseignement.traditionnel, c'est par le biais.des méthodes que des centres tels que le.B.E.L.C .. et.le C,R.E.D.I.F. croyaieot_0pérer les changements les plus profonds, alors.qu'ils mettaient en place, sans.s'.en~- rendre. compte,. une .machinerie didactique·, .certes .efficace,. mais rigide,. lourde, ___ ._ . ' compliquée.et.contraignante, .qui.risque.au.bout.de.quelques années.de.freiner.le changement. pédagogique. au. lieu. de. lei. stimuler •. S '.il. en. est. ainsi,.. un_ inflécbiss1 ement radical.des orientations de.la.pédagogie.des.langues.vivantes devra.bientôt.être envisagé.par.les.méthodologues,.s'.ils.ne.veulent.pas.que.cette.révision.de.leurs. conceptions.ne.leur.soit imposée de l'extérieur, dans le cadre d'une évolution / qu'ils ne pourraient pas contrôler et qu'ils ne pourraient faire profiter de leur compétence spécifique. En.d'autres. termes une véritable. intervention .de. changement,. en .. ""· .... . pédagogie, . ne peut. pas. se. concevoir .aujourd 'bui. comme .. une simple modification .. :'. . _. technique.didactique.portant sur les.instruments.d'apprentissage d'une.discipline particulière. De telles modifications, qui peuvent être nécessaires ou_ souhai·"tables~ doivent être intégrées à des.interventions.novatrices.d'une plus vaste.portée, .. prenant en. compte. les. élèves, . les .. professeurs, .l '.institution scolaire.et-la .so_i;:;iété, définissant.l'idéologie.du.changement.et.clarifiant.ses.finalités. Un changement limité à la méthodologie est condamné à n'être qu'évolutif, et, de ce fait, les .modifications.qu'il.détermine.masquent son caractère conservateur. L'intervention au niveau des méthodes Les hypothèses de base des grandes années de la linguistique appliquée étaient les suivantes : a) la linguistique nous donne la clé du langage et des langues, de leur nature et de leur fonctionnement; bl les thèmes de l'apprentissage nous donnent la clé de l'enseignement des langues vivantes ; .. ./ ...
- 6 - cl nous avons donc la possibilité de mettre au point uns méthodologie scientifique de l'enseignement des langues, Cette méthodologie étant unitaire et doctrinale (directement fondée sur une doctrine) aboutit à la mise au point d'instruments, c'est-à-dire d "eYl-6emblu mUhodolog.lquu p11.é,.11.é.gla.n,t a l' a.va.nc.e poUIL le plLooU./i eU//. e;t poUIL lu Ue.vu lu c.on,tenU./i (c.ho.lx du élémen,t;J.,) , la. p11.og11.u-0.lon (011.d//.e du Uémen,t;J.,) e;t lu p11.oc.é.dé.-0 d.lda.cüquu (011.ga.Yl,{,l.)a.tion de la. c.lM./i e e;t na.tU//.e du exe//.uc.u) . Nous ne nous attarderons pas à rappeler - cela a été dit et redit depuis Chomsky - que les affirmations a. et b étaient exagérées (a.) ou inexactes (b) et ne permettaient pas de fonder une méthodologie scientifique. En revanche nous examinerons de plus pits l'incidence de cette démarche sur l'acte pédagogique et la pratique de la classe. On s'aperçoit alors que le corps de méthodes, qui se recommandent d'une pédagogie "scientifique", débouche sur une pratique_ ! - inconciliable avec une pédagogie de la découverte puisqu'il s'agit d'une pédagogie de dressage et de guidage, d'ailleurs fortement influencée par les techniques de la programmation linéaire; - inconciliable avec de véritables méthodes actives, les activités demandées à l'avance et ne lui laissant pratiquement aucune initiative; - incompatible avec une pédagogie de la créativité; fondées sur l'assimilation d'un corpus linguistique (le contenu de la méthode) et de sa combinatoire, les méthodes inspirées par la linguistique appliquée ne prévoient aucun "en plus" par rapport aux performances que prépare la programmation - incompatible avec l'individualisation de l'enseignement vers laquelle tend la. pédagogie générale; - interdisant toute dynamique du groupe-classe dans la mesure où la méthode structure à l'avance les contenus, la nature et les modalités des échanges. En fait, ce type de méthodes renfdrce un-~odèle de fonctionnement de la classe considéré aujourd'hui comme aberrant, le modèle centralisé ou "centré sur le professeut• mais ce modèle classique est plus rigide que par le passé, le professeur lui-même n~tant plus libre de ses interventions ; celles-ci lui sont imposées par le livre du maitre. On pourrait se demander pourquoi l'intervention centrée sur les méthodes a précisément débouché sur ce type de méthodes ; ou encore pourquoi le doctrinalisms scientifique a-t-il impliqué le dirigisme didactique. La relation n'est pas fortuite les méthodes sont aujourd'hui mises au point par des experts ou des groupes spécialisés . .. ./ ...
- 7 - Or le doctrinalisme amène presque inéluctablement l'expert à réduire la responsabilité et l'autonomie de ses clients (au sens rogérien du terme, qu'il s'agisse de l'insti– tution scolaire, des professeurs ou des élèves) en prenant tout en charge, diagnostic des difficultés, conseil, solutions et application des solutions. En quelque sorte, le passage des méthodes traditionnelles et des vieux manuels aux méthodes "nouvelles" et en particulier aux méthodes audio-visuelles actuelles, tout en faisant progresser les techniques didactiques de l'enseignement des langues, semble en avoir figé la pédagogie. Au lieu de mauvais manuels, -nous avons maintenant de "bonnes" méthodes qui étouffent la classe. Ionesco avait' inventé dans La le~an le doctorat total ; nous avons mis au point les méthodes totales, à plusieurs étages, degrés ou niveaux, pourvues d'exercices complémentaires, de matériel pour le laboratoire de langues, de batteries de tests, de cahiers de lecture et d'écriture, de volumineux livres du maitre, de lectures ''faciles'', de films fixes, de diapositives, de cassettes, etc. ; l'espace et le temps pédagogiques sont désormais remplis par la méthode qui a tout envahi et tout englouti, la matière à enseigner qu'elle a entièrement incorporée, le maitre recyclé à cet effet, demain les élèves heureusement il est peu probable qu'ils se laissent faire. Cette mise en cause des méthodes serait incomplète si nous ne nous attardions sur l'ambiguité de la médiation proposée par les méthodologues en ~e d'une meilleure approche de la matière enseignée. A l'origine, les manuels ont eu surtout pour fonction de faciliter la tâche des professeurs en leur fournissant un matériel de travail sous forme de textes ou d'exercices, et de rapprocher la langue étrangère des élèves. Rapidement les manuels sont devenus des méthodes (par exemple les manuels de méthodes directes) qui proposaient non seulement un contact avec la langue étrangère, mais également.un chemin tracé, facilité, progressif. De par ce double aspect de corpus et de programme, les manuels et méthodes sont des médiations. Mais toute médiation peut impliquer aussi bien l'éloignement que le rapprochement. L'entremise de la méthode peut également. avoir pour effet de distancer l'élève de la matière enseignée et de différer voire d'empêcher le contact hrmêcüa.:t avec l'objet d'étude. En ce cas, la médiation devient écran, obstacle, escalier baroque qui cache la maison et empêche d'y entrer directe– ment par la porte; la médiation se substitue à l'objet d'étude dont elle devient le simulacre. ... / ...
- 8 - Dans le renouvellement méthodologique, nous avons eu les deux aspects : les méthodes "nouvelles" ont tout d'abord joué un rôle très positif de médiations "rapprochantes" par exemple en proposant directement des modèles sonores de langue à la place d'énoncés écrits ; mais on doit constater aussi que l'inflation ' quincaillière des média et l'accroissement démesuré de l'appareil méthodologique ont eu bien souvent l'effet contraire, encombrant l'itinéraire de l'élève, multipliant les activités intermédiaires et retardant la prise de contact avec la réalité authentique de la langue étrangère. \ Pour une pédagogie de la simulation D'un point de vue strictement méthodologique enfin, les formules actuelles nous semblent présenter un grave défaut : si elles ont limité pu même éliminé l'approche purement théorique de la langue étrangère, elles persistent à fonder l'apprentissage sur la manipulation d'énoncés dans des situations scolaires de production qui réduisent forcément les échanges et l'usage de la langue à des pratiques métalinguistiques. Le seul remède que nous voyons actuellement à cette situation est.qu'au lieu de continuer à renforcer et à perfectionner ces pratiques (un exemple. type .. d'engouement pour la sophistication métalinguistique est le succès de la technique de la micro·-conversation comme prolongement de l'exercice structural) on fasse u_ne large part à un procédé pédagogique nouveau, la simulation, largement utilisé.dans de nombreux modèles de formation mais encore très peu introduit dans l'enseignement des langues. Il est urgent que les méthodologues prennent l'initiative de rechercher dans cette direction s'ils ne Veulent pas que les craquements qui font de toute part présager de la faillite des méthodes des années 60 ne préparent une régression vers les à-peu-près des méthodes empiriques traditionnelles. La notion même de simulation est toutefois si peu familière aux enseignants, alors qu'elle s'est imposée dans toutes les formes d'apprentissage ou de formation non académiques qu'il 1 n'est pas inutile de l'expliciter et de l'illustrer . La simulation en formation est la reproduction à des fins d'apprentissage, des situations dans lesquelles se trouvera réellement le sujet à l'issue de sa formation, situations dans lesquelles il devra utiliser la compétence et les savoir1 Pour des indications plus détaillées, voir F. DEBYSER l'enseignement des langues vivantes, B.E.L.C., 1973. ... / ... Simulation et réalité dans
- 8 - faire qu'il cherche à acquérir, Toute formation qui n'utilise pas la simulation reste théorique ou, en tout cas, décrochée du réel. Enfin seule, la simulation fait apparaitre, par l'expérience, au sujet, ses besoins, ses lacunes et ses progrès, et par là motivera chez lui la quête d'informations indispensables, l'autodiscipline nécessaire à des pratiques d'entrainement et à l'acquisition ou au perfectionnement des habiletés ou des savoir-faire nécessaires pour de meilleures performances. Pour toutes ces raisons, la simulation est aujourd'hui largement utilisée dans des activités d'entrainement et de formation aussi variées que la préparation d'une expédition spatiale, la formation de pilotes de ligne, l'entrainement aux relations humaines, la préparation à la gestion des entreprises, etc. En revanche on ne rencontre pratiquement pas de techniques de simulation dans l'enseignement de type scolaire ou universitaire. Dans l'enseignement des langues en particulier, les seules procédures authentiques de simulation ont été introduites dans certaines formes d'apprentissage professionnel spécialisé telles que les écoles d'interprétariat où, par exemple, l'entrainement en cabine à la traduction simultanée reproduit bien une situation dans laquelle l'élève se trouvera à l'issue de sa formation. Dans l'enseignement général, la simulation n'a été utilisée que pour établir de meilleurs modèles d'étude et non pas afin de construire des situations simulées qui aient une valeur expérientielle pour l'élève. Dans une perspective pédagogique, en effet; la différence entre modèle et simulation est capitale, Comme un modèle, une simulation est une représentation de la réalité, comme un modèle, une simulation est une représentation schématisée et à certains égards simplifiée, comme un modèle enfin, la simulation est opératoire, c'est-à-dire qu'elle est eon/.J.:t:Jtu);te comme un instrument utilisable à des fins précises, Toutefois, alors qu'un modèle en sciences exactes ou humaines est une représentation formalisée de la réalité (même en sciences humaines, ce peut être un modèle mathématique), la simulation est une reconstitution aussi fidèle que possible du réel, ou tout au moins des éléments du réel pertinents pour l'étudiant. La simulation est moins abstraite, et donc moins simplificatrice qu'un modèle théorique, en un mot elle est réaliste. Cette exigence de réalisme, qui n'exclut pas toute simplification et n'implique pas le "vérisme", est soulignée par tous les spécialistes de la simulation en formation et notamment par tous les constructeurs de modèles de simulation. .../ ...
- 10 - D'autre part, les finalités opératoires du modèle et de la simulation sont différentes : le modèle théorique est construit pour l'observation et la ~é6le,uon spéculative beaucoup plus que pour l'application : s'il débouche sur l'expérimentation, ce n'est que sur l'expérimentation du modèle lui-même, c'est-à-dire sur le contrôle de sa validité et de sa puissance de représentation. En revanche, la simulation pédagogique a pour but de permettre l'action (simulée) et l'expérimentation (réelle), Enfin, un modèle théorique est toujours plus ou moins déterministe et / cherche è intégrer même l'aléatoire : si ses précisions ne se réalisent pas, c'est qu'il faut changer de modèle, tandis que la simulation introduit dans le modèle un ou des sujets (les élèves) qui doivent prendre des décisions et des initiatives, c'est-à-dire agir de leur propre chef, même dans les cas oD ils ont des consignes à exécuter. La simulation pédagogique est -lmpUquan.te pour les participants. Dr il est évident que les méthodes actuelles, si elles se sont différenciées des manuels d'apprentissage théorique de la langue étrangère, par une orientation .. plus pratique, n'ont fait qu'un pas bien timide vers la simulation ainsi définie. La notion de situation a bien été introduite dans la présentation des éléments, et les dialogues ou saynètes par lesquels commencent les leçons sont bien des· simulations, mais uniquement aux fins de donner plus de vie à un msdèle que l'on demande à l'élève de reproduire, puis d'imiter. Au mieux, peut-on dire qu'il s'agit de simulations contemplées et non de simulations impliquantes. C'est donc également pour des raisons internes et cette fois strictement méthodologique que l'on peut sonner le glas des manuels et se préparer à des changements profonds qui rendront caduques même les méthodes actuelles mais, en fin de compte, cela ne devrait étonner personne : les méthodes nouvelles d'un jour sont les méthodes désuètes de demain, Sans attendre l'an 2000, les méthodologues peuvent donc se remettre au travail, avec toutefois un esprit un peu moins scientiste et beaucoup plus pédagogique. ... / ...
- 11 - Simulation et réalité dans l'enseignement des langues vivantes. Que ce soit en linguistique ou en pédagogie, on ne peut se passer aujourd'hui de la notion de modèle J une définition simple en est donnée par 1 J. Kuntzmann "La plupart des activités humaines reposent sur des modèles, c'est-à-dire des schémas intellectuels représentant plus ou moins la réalité et permettant la réflexion (préparatoire ou non à l'action). Les théories physiques, les théories économiques, les systèmes philosophiques sont des modèles". Ajoùtons qu'une théorie linguistique est également un modèle (par exemple un modèle de compétence) et qu'une méthode d'enseignement présuppose à la fois un modèle d'apprentissage et un modèle de la compétence ou du savoir– faire que vise l'enseignement. Il est également utile de revenir un instant à la distinction entre apprentissage naturel et apprentissage scolaire. On peut considérer que tout apprentissage naturel relève de l'adage "c'est en forgeant qu'on devient forgeron" et met le sujet (non l'élève) dans une situation de découverte par tâtonnement ou encore par essais et erreurs, où sa relation avec la compétence recherchée n'est médiatisée ni par un enseignant ni par une méthode préconçue, .c'est-àcdire.par un.modèle élaboré à des fins d'enseignement. Dans cette situation, c'est le sujet qui élabore progressivement.au contact du réel son propre. modèle, L'enfant africain qui .barbote .. au .bord .du. fleuve. apprend .à.nager.en jouant.dans.l'eau J le bébé.ou l'émigraot.qui.bredouillent leurs .. premiers.mots.apprennent à.parler à la faveur de.leurs.essais.plus ou moins . réussis. de. communication. réelle. En. revanche, .dans. tout. enseignement, l'itinéraire .. du.sujet (cette.fois.l'élève) .est.toujours.programmé,.c'estcàcdire.doublement .. modellisé. : . d '.une. part. un. modèle simplifié. de. la. compétence .de .sortie. est .substitué.au.réel. (par.exemple.le.Français.Eoodamentall.J .d'.autre.part ce .. modèle.n'est.pas présenté en vrac J il est ordonné suivant une progression, c'est-à-dire qu'il est corrélé,comme on l'a précisé ci-dessus, à un modèle d'apprentissage : parcours simplifié et facilité. 1 . J, Kuntzmann .../ ... Informatique et pluridisciplinarité, in Informatique et Enseigne– ment. Les Amis de Sèvres n° 3 - 1971 - pp. 17-19,
- 12 - Précisons qu'il n'y a pas lieu à ce stade, comme on va le faire plus loin, d'opposer qualitativement des modèles linéaires et surprogrammés, par exemple évitant l'erreur (''ne j~mais laisser le cheval sur un échec'' disent les dresseurs) à des modèles plus souples ou plus complexes intégrant l'échec ou ramifiant les itinéraires , en effet, dans le deuxième type de programmes la rencontre de la difficulté et même la pédagogie de l'erreur .ont la même fonction que.son évitement dans les.premiers.: le contact avec la.difficulté.ou l'expérience de.l'échec sont seulement considérés, dans ce cas, comme des étapes positives, facilitant à moyen ou à long terme l'apprentis– sage, donc méthodologiquement utiles voire programmables. Ayant ainsi défini l'enseignement comme impliquant une programmation reposant sur un double modèle, notre propos est de nous intéresser plus particulièrement aux modèles didactiques, .c'estcà-dire.aux.méthodes et.à la .. part.qu'elles font à des pratiques.que l'on peut en gros appeler "exercices'' quels.que soient leurs buts : provoquer l'acquisition ou y contribuer, la consolider ou encore la tester, c'est-à-dire à la fois l'évaluer et la mettre à l'épreuve. Il nous apparait que dans la plupart des apprentissages, ou, .en tout cas, dans tous ceux qui ont pour objectif de sortie, non pas ou non seulement une compétence théorique mais un savoir-faire (nager, faire du ski, .piloter un avion de ligne, parler une langue.étrangère, enseigner, g~rer des.affaires) les méthodes peuvent recourir avec des dosages très variables à trois types de pratiques ou d'exercices que nous appellerons respectivement a) des.gammes bl des exercices de simulation cl des épreuves réelles. Les gammes Nous appellerons "gammes'' tous les exercices d'école ayant pour .objet.le.perfectionnement.particulier.de.telle ou.telle.composante.du savoir-faire .de.sortie, ou d'une habileté.intermédiaire prévue dans la programmation comme palier indispensable dans l'itinéraire fixé pour atteindre le savoir-faire de sortie. Ce.sont toujours également, mais à des degrés divers des.exercices de répétition.: répétition d'un item (ou d'un geste), .répétition d'une série .d'items ou eocore régularité d'une série de réponses à une série également régulière de questions ou de "stimuli" présentant ou imposant un invariant structural (c'est le principe de base des exercices structuraux). ... / ...
- 13 - Dans le meilleur des cas, ces exercices ne portent que sur une performance partielle exigible dans la compétence de sortie : ex. : pour un aide-comptable, effectuer tel type d'opération J ou encore sans constituer une performance isolable dans la démonstration de la compétence, l'exercice y contribuera de façon apparente : ex. : le battement de pieds pour un nageur de crawl ou les gammes proprement dites pour un instrumentiste. En ce cas, les gammes ne s'identifient pas avec le réel mais sont en relation avec lui, Dans la pire des hypothèses, les exercices sont extra-pédagogiques, visant à conditionner l'élève à des consignes sans relation avec la compétence de sortie J ex. : réciter l'alphabet à l'envers ou copier cinquante fois une phrase J certains rituels de classes désuètes par exemple le cérémoriial jour– nalier de la date au tableau et, bien sûr toutes les punitions fondées sur la répétition, qu'il s'agisse de lignes à copier, de verbes à conjuguer ou de la pratique du "peloton" dans l'infanterie. En ce cas, les gammes sont sans relation ·avec le réel et n'ont même pas d'objectifs pédagogiques. Entre ces deux extrêmes, les exercices de type "gammes" peuvent avoir des fonctions différentes : ·- ils peuvent être purement instrumentaux; ex. : faire faire des bâtons et des ronds à un enfant qui va apprendre à écrire ou faire pratiquer le saut à la corde à un boxeur, pour le faire maigrir ou pour améliorer son jeu de .jambes. En ce cas, la trace de ces exercices ne.sera pas directement apparente .dans la compétence de sortie mais ils contribuent à long terme à en améliorer .les performances et marquent le début de la plupart des apprentissages où les enseignants ou les instructeurs veulent créer de ''.bonnes habitudes'' ou montrer de "bons réflexes." J.telle est également l'hypothèse sur laquelle repose en .pédagogie des langues vivantes la plupart des.exercices de phonétique pour débutants et des structuraux élémentaires .. (répétition et.substitution simple) . . Notre.propos.n'est pas de.débattre.ici.du.bien fondé psycbocpédagogique ou psycboclinguistique.de ces pratiques. Disons seulement qu'elles ne posent aucun problème tant que l'on pourra s'accorder sur la nécessité pédagogique d'automatiser, d'affiner ou d'accélérer certains réflexes perceptifs ou pro– ductifs mais que les difficultés commenceront dès que l'activité mise en cause ne sera plus réductible à un réflexe. Enfin, certaines gammes peuvent avoir pour objet non pas une gymnastique d'entrainement à la performance comme les exercices strLJcturaux ... / ...
- 14 - en langues vivantes, mais la mise en mémoire le ''stockage'' d'informations utilisables par la suite, ex. : apprendre des tables de multiplication ou des paradigmes morphologiques, l'hypothèse étant qu'il est plus économique de disposer de cette mémoire que de devoir consulter une documentation extérieure. Nous regroupons donc dans les gammes le "par coeur instrumental" qui ne s'acquiert' d'ailleurs que par répétitions intensives, et que l'on ne peut aujourd'hui ni justifier, ni réfuter de façon catégorique. Comme conclusions provisoires de cette revue des exercices de gammes, de type scolaire et essentiellement fondés sur le renforcement ou la fixation des acquisitions par la répétition, nous ferons les observations suivantes : a) il est probable qu'en l'état actuel des connaissances et de l'expérience pédagogique, aucune méthode d'apprentissage des langues vivantes ne peut se passer entièrement de ce type d'exercices, même si l'on en fait la critique et même si l'on voit des limites à leur efficacité, par exemple, quant à la généra– lisation ou au transfert possibles des connaissances ou des habiletés qu'ils peuvent inculquer. Le problème n'est donc pas de les supprimer mais d'en redéfinir la place et la fonction dans le modèle méthodologique, d'éliminer les gammes inutiles ou stupides et d'améliorer celles qui semblent utiles. b) en revanche, on peut affirmer qu'aucune compétence complexe ne sera obtenue par simple superposition d'habiletés particulières enseignées au moyen d'exercices de gammes. La psycho-pédagogie et la psycho-ling~istique contemporaines d'une part, l'échec des méthodes uniquement ou trop centrées sur la pratique des drills d'autre pa~t ne laissent aucun doute à cet égard .en vue de l'acquisition d'une compétence de sortie, l'exercice progressif et simulé mais global de cette compétence est nécessa~re à l'intérieur même du modèle pédagogique. cl les exercices de gammes présentent tous sur le plan pédagogique un défaut redoutable : ils sont monotones et donc peu motivants , l'élève ne les pratique que par discipline consentie ou subie et dans ce dernier cas n'en tire que peu de profit. Cela ne suffit pas à prouver que l'effort et la discipline (de travail) sont inutiles , l'entrainement intensif reste en effet payant , mais il est légitime de se demander s'il n'y a pas d'autres exercices plus stimulants et aussi efficaces qui permettent d'arriver à des résultats identiques ou meilleurs. . •. I .. •
- 15 - d) le véritable problème est non pas de rêver d'utopiques méthodes naturelles mais d'insérer dans les méthodes de véritables modèles de simulation de l'utilisa– tion de la langue vivante enseignée. La simulation Quand des astronautes préparent une exploration de la lune, ils consacrent des jours à la simulation de leur séjour lunaire et des différentes .Phases de leur expédition. Quand des élèves-aviateurs apprennent à piloter un avion de ligne, une partie fondamentale de leur entrainement se passe en simulation de vol. Quand des généraux et des techniciens militaires préparent ou imaginent une quelconque agression, ils s'y forment par la simulation (war-game) de l'opération étudiée ou envisagée. Quand des hommes d'affaires ou des dirigeants de sociétés demandent à des spécialistes de les recycler, ces derniers, plutôt que de leur proposer . des connaissances nouvelles transmises sous forme de cours, les placent dans des situations de simulation de problèmes de gestion ou de conflits de sociétés concurrentes ces exercices sont bien connus désormais sous le nom de jeux d'entreprise (business ou management-games). Ailleurs encore, pour former différentes catégories professionnelles à la résolution de problèmes de relations humaines .ou.de difficultés dans l'orga– nisation du travail, on a remplacé tout apprentissage théorique par la méthode des cas dont l'ambition est de proposer enfin un apprentissage de l'expérience par simulation de cas réels. Enfin, psychologues, psychosociologues, formateurs et thérapeutes ne cessent de mettre au point des laboratoires ou des protocoles d'expérience de groupe, (du T. group ou jeu de rôles et au psychodrame) qui, dans leur extrême diversité, s'apparentent tous à des procédures de formation en simulation. Dr, cette notion même de simulation, qui s'est depuis longtemps imposée dans tous les modèles d'enseignement ou de formation non-académiques, est encore pratiquement inconnue, du moins en France, des milieux ou même des centres officiellement chargés de réflexion et d'expérimentation pédagogique, à l'exception peut être de quelques groupes d'informations ou de spécialistes du micro– enseignement1 ... / ... / 1 Signalons toutefois une thèse récente de Y. Bertrand : "La liaison entre la situation et l'expression dans l'enseignement scolaire des langues vivantes - Problèmes de simulation" - Paris-Sorbonne, 1872.
- 16 - Aussi convient-il de définir et de commenter la notion même de simulation, 1 avant de revenir' à la pédagogie des langues vivantes, en la rapprochant· de la notion de modèle que nous avons déjà utilisée. Comme un modèle, une simulation est une représentation de la réalité; comme un modèle, une simulation est une représentation schématisée et à certains égards simplifiée 1 comme un modèle enfin, la simulation est opératoire, c'est-à-dire qu'elle est construite comme un instrument utilisable à des fins précises. Toutefois alors qu'un modèle en sciences exactes ou humaines est une représentation formalisée de la réalité (même en sciences humaines, ce peut être un modèle mathémàtique), la simulation est une reconstitution aussi fidèle que possible.du réel, ou tout.au moins des éléments du réel pertinents pour l'étudiant, La simulation est moins abstraite, et donc moins simplificatrice qu'un modèle .théorique,.en un mot elle est réaliste. Cette exigence de réalisme, qui n'exclut .. pas toute simplification.et.n'implique pas le "vérisme", est soulignée par tous les spécialistes de la simulation en formation et notamment par tous les construc- . . . . 2 teurs de modèles de simulation . D'autre part, les finalités opératoires.du modèle et de la simulation sont différentes : le modèle théorique est construit pour.la réflexion_spéculative beaucoup plus.que.pour l'.application : s'il débouche.sur l'expérimentation, ce .n'.est.que.sur.l'expérimentation, .ce.o'est.que_sur_l'e¼périmeotation du modèle .. luicmême,.c'estcàcdire.sur.le.contrôle.de.sa.validité et de sa puissance de représentation. En revanche, la simulation pédagogique a pour but de permettre l'action (simulée) et l'expérimentation (réelle), 1 cf. I.I. Revzin ... ! ... Les principes de la théorie des modèles en linguistique - in Langages. □0 .15 - .1969. 2 . . . . Cf. R. Mucchielli : La méthode.des_cas.c Paris 1969, parmi les qualités auxquelles doit répondre un cas destiné à la formation, l'auteur place en premier l'''authenticité du cas'', qui doit être ''une situation ·concrète puisée dans la réalité de la vie professionnelle", Cf. également Kaufmann, Faure et.Le Garff : Les jeux d'entreprise - Paris - P.U.F. (coll. Que sais-je, n° 892 (1969), voir notamment les chapitres ''Exigences de la construction d'un modèle'' et ''idée centrale : le réalisme" (pp. 66 à 73).
- 17 - Enfin, un modèle théorique est toujours plus ou moins déterministe et cherche à intégrer même l'aléatoire : si ses prévisions ne se réalisent pas, c'est qu'il faut changer de modèle, tandis que.la simulation introduit dans le modèle un ou des sujets (les élèves) qui doivent prendre des décisions et des initiatives, c'est-à-dire agir de leur propre chef même dans les cas oD ils ont des consignes à exécuter. La simulation pédagogique est impliquante pour des participants 1 La question que l'on peut maintenant se poser est : pratique-t-on des .exercices.de simulation dans.l'snseig □ement.des.la □gues.viva □tes .et comment? Du .. encore.: .prévoitcon.dans.la.méthodologie.des.langues .vivantes.des situations simulées comparables à celles auxquelles on prévoit que l'élève doit pouvoir faire face au terme de son apprentissage, c'est-à-dire en utilisant sa compétence de sortis? On pourrait répondre que la méthodologie des langues vivantes a introduit, sans le savoir, la simulation à trois étapes de son évolution : 1) avec l'introductioo.ds.la.méthode.directe •.. . . 2).avec.les méthodes.fondées.sur.l'exploitation d'un dialogue en situation. 3) à certains moments de la classe notamment celui du réemploi et dans certains exercices allant vers l'expression libre. Ecartons tout de suite, sans nous y attarder, la Méthode Directs, qui .. s'est.rapprochée.de.la simulation par l'emploi exclusif de la langue étrangère ... dans .. la pratique de la classe, .mais n'a jamais conçu est emploi autrement que sous forme d'un.discours scolaire fortement métalinguistique sans rapport avec des.situations.de communication orale ni.même écrite.de.la.réalité. La simulation .. de.telles situations n'a strictement rien à voir avec les questions-réponses sur les cheveux de Paul ou les souliers d'Hélène, ni avec les gloses sur le repas de la famille Dupont. Le.modèle.de.leçon.proposé.par les.méthodes.dites.~à dialogue en situation" .. (VIF,.Frère.Jacques, .France.en Direct, etc.) pourrait faire croire à de la simulation. N'y trouvect-on pas.au.début.de.la.leçon.une.saynète.en langue de "communication .orale usuelle~.rendue.plausible par.une ''situation'', que les élèves .sont amenés à comprendre globalement, aidés comme parfois dans la réalité, par un contexte sémiologique reconstitué par les moyens audio-visuels, qu'ils sont enfin amenés 1 ... / ... Ces précisions relatives à la simulation pédagogique ont été déjà présentées dans "la mort du manuel et le déclin de l'illusion méthodologique" (Français dans le Monde n° 100) dont le présent article peut être considéré comme le prolongement.
'' - 18 - .à.mémoriser par coeur et même.à.mimer. En d'autres termes, lorsqu'à la.fin de la longue période de présentation de compréhension et ~e mémorisation, deux élèves sont en mesure de jouer ou de mimer le dialogue ne font-ils pas de la simulation? Bien qu'il y ait dans ce type de méthode, un souci évident d'appuyer le modèle d'apprentissage sur un modèle linguistique de la communication quotidienne, ce qui s'apparente aux exigences de la simulation, nous répondons encore par la.négative1 . En effet, on.a.pu.remarquer.que.ces.dialogues,.truffés d'intentions . .. méthodologiques.et.obéissant.à.u □ .grand nombre.de.contraintes étaient bien éloignés de la communication authentique. Il suffit de comparer un enregistrement de dialogue réel et spontané et une bande de méthode, pour se rendre compte que ces dialogues sonnent faux malgré les efforts de leurs contenus, ne serait-ce que.parce qu'ils .. sont fabriqués à partir d'un modèle opératoire de langue, tandis que les échanges réels relèvent au moins pour autant d'une linguistique de l'énonciation. Mais ce n'est pas là l'obstacle majeur, dans la mesure où, comme on l'a vu, il.est.légitime de concevoir des modèles de simulation simplifiée le "réalisme" en la matière .. n'impliquant pas le "vérisme". Ce qui empêche de considérer cette conceptiofi·de la classe comme une technique.de simulation.tient.surtout au rôle de l'élève par rapport à ce modèle : il écoute, comprend,.répète, .mémorise, reconstitue.par.coeur le dialogue, au mieux le joue comme une .petite .scène de ... théâtre, mais .n '.est .jamais. à l'intérieur d'une simulation qui l'implique et où il puisse réellement simuler de devoir personnellement faire face à une situation de communication non scolaire. Ces méthodes proposent.dans.la.suite.du.déroulement de la leçon.d'.autres .. tecbniques.d'.exploitati □ n.1. □ous.ne.nous_attardar□□ s.pas.sur.les exercices.de .. fixation.qui relèvent,de.ce que.nous.avons.appelé .les.gammes, malgré.les.efforts diversement réussis des auteurs de les.rendre.plus vivants (cf. l'évolutio~.des.exerci– ces structuraux à la ~icro-conversation) .ou de.les.rattacher à des situations ' plausibles (ce qui a toujours été la tendance du C.R.E. □ .I.F. qui n'a toujours émis des réserves quant aux exercices purement structuraux). Enfin, ces méthodes proposent.avec des.succès divers un décrochage par rapport au modèle proposé, .qui a pour.but de.faire.parvenir l'élève à l'expression autonome ou "libre" : l'ennui.est que.tous les.praticiens honnêtes savent par .expérience qu'ils ne parviennent jamais à ce stade dans le cadre de la classe .. ils se contentent plus modestement, et c'est déjà beaucoup, de susciter chez ... / ... 1sur ce point, nous nous écartons assez sensiblement des positions soutenues par Y. Bertrand (op. cit.)
- 18 - l'élève une certaine habileté au réemploi combinatoire des structures acquises dans des contextes et des situations comparables mais légèrement différente de ceux du début de la leçon. Dans le meilleur des cas, on approche de la simulation à la fin de la leçon, dans les méthodes qui introduisent la dramatisation à condition toutefois que les élèves y jouent de .vrais rôles et s'y projettent avec une certains aut_onomie expressive et créative et ne se contentent pss de réciter à peu près_ par cosur à quelques variantes près le texte et les répliques sur lesquels ils ont travaillé d t 1 . 1 psn an a semaine . Nous conclurons à propos des méthodes audio-visuelles qu'elles.se.sont rapprochées de la simulation sur un point : le modèle linguistique sur lequel travaillent les élèves est une représentation plus correcte que par le passé de la réalité qui les attend à la sortie, si cstts réalité est bien la communication orale. En revanche, le modèle pédagogiqus.luicmême, c'est-à-dire la conception de.la leçon et la répartition des activités.entre l'enseignant et les enseignés, reste très éloignés des techniques de simulation; le modèle méthodologique,_ en effet, n'implique pas que les élèves interviennent autrement que sous forme de répétitions et de réponses à des questions ou à des consignes de l'instructeur ils travaillent de façon guidée sur le.modèle linguistique au lieu d'être dedans leur autonomie est insuffisants car l'imitation du modèle linguistique proposé __ garde une importance déséquilibrée dans l'économie de la leçon par rapport à l'utilisation non guidés de ce modèle; enfin, les situations de réemploi restent trop liées au matériel de départ et restent encore trop éloignées des véritables situations de réemploi de la communication réelle auxquelles on souhaits préparer les élèves. D'une manière générale, les méthodes audio-visuelles d'usage courant reposent sur un modèle pédagogique.de.travaux pratiques dirigés sur la langue. enseignés qui fait peu de place à la simulation. Dans simulation, il y_a "simuler", c'est-è-dire ''faire semblant'' les méthodes audio-visuelles dans leur conception actuelle ne sont probablement pas assez actives et leurs schémas d'imitation des ... / ... 1 L~ petite histoire du film pédagogique ''les moments de la classe de langue" est significative à cet égard : le réemploi et la dramatisation y sont convaincants dans' la dramatisation, on parvient même à certains moments privilégiés à un jeu de rôles très proche d'une simulation réussie. En revanche~ la première version du film présentait une séquence finals d'expression libre qui sonnait si faux et donnait une impression si flagrants de comédie mal apprise qu'il a fallu la couper.
- 20 - conditions réelles de la communication ne sont probablement pas encore au point on arrive bien à "faire semblallt" mais l'orientation vers la simulation n'est pas encore assez poussée pour qu'~n y croie''. Avant d'aller plus loin, il faut tenir compte d'une objection de fond que les spécialistes du Niveau 1 peuvent nous opposer : la-simulation n'est-elle pas impossible avec des débutants en raison des difficultés inhérentes à l'apprentissage des langues vivantes où le débutant est plus désarmé que dans toute autre discipline? On sait fort bien que la plupart des imovations pédagogiques visant à introduire des méthodes actives, à rendre le groupe classe et les individus dans le groupe classe plus autonomes, à individualiser l'enseignement, à permettre aux élèves de travailler seuls ou en petits groupes, se heurtent toujours lorsqu'il s'agit des langues vivantes à.cet obstacle.majeur qui tient au fait que l'élève. ne possède pas les outils,les.plus.élémentaires.permettant la simulation.et.que .. par. ailleurs il risque_ d'éprouver .un_ sentiment_ stérilisant d 'impuissanèe. si·.oo. le .. force à simuler des échanges maladroits.dans.une.langue étrangère alors.qu'il .. dispose, pour ces mêmes .échanges dans.sa.langue.maternelle, d'un instrument.largement satisfaisant. Cela.peut amener.des.spécialistes.de.pédagogie.des.langues.vivantes .à poser.que. :.a) en deçà.d'u □ .seuil.minimal.de.compéte □ ce, il n'est.pas.possible . . dB.communiquer.ni de.simuler.la.communicatioo.réelle,.et par conséquent.que .. b).pour.atteindre.ce.seuil.minimal, .force.est.de.recourir à une pédagogie.contrai– .. gnante, _fortement. programmée, .qu '. il .s'agisse. d·'une. méthodolog;j.e grammaticale _traditionnelle ou diune méthode structurale. Ce n'est qu'après que.la simulation sera possible, et nous verrons qu'en effet les orientations récentes de la méthodologie du Niveau 2 (par_exe~ple B.E.L.C. et C.R.E.O.I.F.J lui font une place assez importante. L' objection...e_s.t.. sérieuse,. et . □□ us. pe □ so □ s. qu'il vaut mieux en tenir .. compte __que. de. 1 'éluder_: __ toutefois,. notre. point .de. vue .. est. différent,. et. ___ _ .surtout.moins dicbotomiste.,.oous estimoos.en.effet : _ a) qu'il est nécessaire en effet de donner à l'élève les outils indispensables en vue d'une compétence .minimale et que, .pour ce .faire, . d,;,s exercices.. d' ioitiation . __ et. de répétition. (gammes J restent_ nécessaires.; __ b).que.l'on.peut.toutef□ is.mettre.au.point.des.techniques de simulation _ _.conciliant.les exigences.de.la.répétition.et.de.la.structuration avec.celles .. d'une.expression plus rapprochées.de.la réalité; le problème sera de concevoir des simulations qui d'une part soient facilitantes et d'autre part impliquent naturellement une dose élevée de répétitions ; .. ./ ...
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