Gustave Monod - Une nouvelle idée de l'école

Gustave Monod Une certaine idée de l’école

Gustave Monod 1

Première de couverture : photographie © collection privée, famille Monod Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays © Centre international d’études pédagogiques – juillet 2009

Gustave Monod Une certaine idée de l’école Tristan Lecoq Inspecteur général de l’Éducation nationale Professeur des universités associé (histoire) à l’Université de Paris Sorbonne Directeur du Centre international d’études pédagogiques (CIEP) Annick Lederlé Professeur d’histoire-géographie Service du développement et de la communication (CIEP)

Une certaine idée de l’école Il est des hommes qui passent dans leur temps sans le comprendre. Il en est qui le comprennent, sans vouloir s’y engager. Il en est enfin qui le comprennent et s’y engagent, en une forme singulière de sécularisation fondée sur une conscience de soi, des autres et du monde. Gustave Monod est de ceux-là. Issu d’une famille où la culture, la lecture, l’élan spirituel ne font qu’un, il a été, d’un bout à l’autre de sa longue vie, un philosophe engagé. Adossé à un héritage immatériel d’une élévation d’esprit peu commune, convaincu que « … le bonheur ne réside pas dans la liberté, mais dans l’accomplissement d’un devoir », pratiquant dans chacune de ses missions et chacune de ses fonctions publiques le libre exercice de l’intelligence responsable, il aura été un exemple pour beaucoup. Surtout, il ne se sera jamais trompé dans l’exercice, périlleux entre tous, de l’engagement. Il n’a pas trente ans lorsqu’il s’engage pour servir sa patrie. Simple soldat, il sert dans l’infanterie. La « reine des batailles » ! C’est en fait un long et lent calvaire de quatre années. En première ligne, dans un des régiments les plus meurtris de toute la Grande guerre. Il sert, simple et solide. Il souffre. Il comprend. Son engagement au service de l’école est de la même trempe. Il aura enseigné pendant vingt ans. Tous, Inspecteurs généraux, collègues, élèves en attestent : ce n’est pas un enseignant comme les autres. Rigoureux jusque dans l’expression d’une forme de passion froide pour la philosophie, distant à l’égard des modes, attentif à l’éducation au moins autant qu’à l’instruction, Gustave Monod est un maître. De ceux dont on se souvient. De ceux que l’on suit. Son engagement de haut fonctionnaire est de la même veine. Arrivé jusqu’au plus haut niveau des responsabilités, celles-là où s’estompe la division entre le politique et l’administratif, là où la décision se prend, il fait preuve de la même rigueur, de la même détermination, de la même indépendance d’esprit, dans la fidélité à ce qu’il croit juste pour les élèves et pour son temps. Au moment du Front populaire et dans l’immédiat après-guerre, il est là quand tout se joue. S’il ne réussit pas toujours à ce que ses idées soient appliquées dans la durée, il participe à une remise en mouvement du système éducatif français qui fera date. Il a compris, plus tôt et plus que d’autres, qu’il faut apprendre ce qui dure pour comprendre ce qui change. Son engagement politique se situe dans la même ligne. Militant antifasciste de la première heure, il refuse d’être un rouage dans la machine que le régime de Vichy met en place, au cours des froides journées de novembre 1940, anticipant une politique de persécution des Juifs que l’occupant ne lui a même pas imposée, ni suggérée. Les arguments qu’il évoque reposent sur un socle de convictions humanistes qu’une défaite militaire ne suffit pas à affadir. Elles resteront intactes pendant toute l’Occupation, au cours de sa résistance, parce que lui aussi est une figure de « l’illustre acharnement à n’être pas vaincu». Gustave Monod 5

Lorsqu’au lendemain de la guerre, au milieu des ruines matérielles et morales, il est chargé des affaires d’enseignement, il fait preuve de la même vision. Il sait qu’on ne construit pas un système éducatif sans connaître, ni comparer ce qui se passe et ce qui se joue ailleurs. D’emblée, il inscrit la rénovation de l’école dans cette perspective. D’un coup, il permet aux professeurs français et étrangers de se découvrir et de s’instruire en une féconde réciprocité. Dans le même mouvement, il entend que ce rapprochement s’effectue par la pédagogie, témoignant ainsi et une fois de plus de sa fidélité de professeur à ses origines : c’est la création du Centre international d’études pédagogiques, le 30 juin 1945. Si faire son devoir n’est pas nécessairement simple, c’est de savoir où il se trouve qui trace une ligne entre les hommes. Durant le demi-siècle qu’il a traversé de sa vie, Gustave Monod aura été un veilleur fidèle et droit, un serviteur de l’État engagé, un acteur vigilant, bienveillant et opiniâtre des réformes de l’enseignement. Il ne s’est jamais trompé, aux moments les plus excessifs et dans les choix les plus difficiles. Homme de fidélité, serviteur de l’État, passionné par la « pluralité des mondes » : l’exemple qu’il nous laisse est intact. Une certaine idée de l’école 6 Gustave Monod

Une certaine idée de l’école Gustave Monod 9 Gustave Monod, un homme de fidélité

Une certaine idée de l’école 10 Gustave Monod 1« La famille Monod s’interroge et ne comprend pas ce séjour dans un établissement aux antipodes de la culture familiale. Il est possible que Gustave Monod ait découvert cette institution, engagée dans les méthodes actives et l’éducation nouvelle, par le biais d’un autre protestant comme lui, Henri Trocmé, qui était chef de maison à son arrivée en 1911 ». Cité dans : Régis de Reyke, L’École des Roches. Une école modèle, un modèle d’école, thèse sous la direction de M. C Pociello, Université Paris XI, Orsay, 2000, p. 338 1. Gustave Monod, un homme de fidélité Gustave (Adolphe, Alphonse)Monod est né le 30 septembre 1885 à Mazamet dans une famille de pasteurs protestants. Il fait partie de la grande famille Monod, dont plusieurs représentants illustrent le patronyme : Gabriel, l’historien ; Gustave, le professeur de médecine, son grand-père ; Jacques, le biochimiste, prix Nobel demédecine et Théodore, naturaliste et grand voyageur. Son père Ernest, Jean Monod, né en 1848, pasteur à Mazamet et à Pau, est le fils du docteur Gustave Monod, chirurgien des hôpitaux de Paris, né en 1802, un des fondateurs de l’Académie de chirurgie. Sa mère, Hélène de Heimann, est née en 1852. Il fait ses études primaires et secondaires à Roubaix et à Pau (où il a pour condisciple Alexis Léger, futur secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et futur Saint-John Perse) et obtient un baccalauréat ès lettres à Bordeaux en 1904 ; il suit des cours à la faculté de lettres de Montpellier (licence ès lettres en 1906, diplôme d’études supérieures de philosophie en 1907) puis à Paris. Gustave Monod arrive à l’École des Roches en 1911 pour y enseigner la philosophie. Il obtient l’agrégation le 10 août 1912. Pendant deux ans, il poursuit son initiation aux « méthodes actives » aux Roches, de 1912 à 1914, en tant que « chef de maison ». Gustave Monod se marie le 30 juillet 1919, à Saint-Cloud, avec Marguerite, Marie-Louise Schweitzer. Née à Neuilly-sur-Seine en 1894, fille d’Auguste Schweitzer, négociant et de Mathilde Hertlé, elle est la cousine germaine du docteur Albert Schweitzer, fondateur de l’hôpital Lambaréné au Gabon, prix Nobel de la paix en 1952, et de la mère de Jean-Paul Sartre. Ils ont quatre enfants : François, Annette, Jean-Pierre et Olivier. Gustave Monod et ses enfants, 1925 Gustave Monod à l’École des Roches Gustave Monod en famille, 1923

Une certaine idée de l’école Gustave Monod 11 2Idem, p. 339 3Idem, p. 346 4Régis de Reyke, « L’École des Roches, une institution éducative centenaire », Les Études sociales, n°128, parution nov.-déc. 1998, dactylographié p. 10 L’École des Roches Fondée en 1899, en Normandie près de Verneuil-sur-Avre, par Edmond Demolins, cette école, privée et laïque à la fois, s’inscrit dans un projet pédagogique, celui de former de futures élites. S’inspirant des méthodes expérimentées dans les écoles nouvelles anglaises d'Abbotsholme et de Bedales, Edmond Demolins introduit le concept d’éducation nouvelle en France à un moment où l’enseignement secondaire fait l’objet de critiques sévères. Si l’éducation nouvelle se présente comme un laboratoire pédagogique d’avant-garde, elle reste indépendante de toute confession comme de l’État bien qu’inspirée des idées réformées. Le successeur d’Edmond Demolins, Georges Bertier, est un catholique fervent et pratiquant, professeur de philosophie, qui s’intéresse à la sociologie. Directeur de l’École des Roches à partir de 1903, il modifie le projet initial. Les idéaux pédagogiques des Roches - responsabilisation de l’enfant, pédagogie adaptée à ses besoins, importance des activités physiques et manuelles - partagés avec le mouvement de l’Éducation nouvelle, sont dès lors combinés à ceux du système traditionnel français dans lequel les humanités occupent une place consacrée. Il existe, en effet, des liens entre les praticiens de l’école publique et ceux de la « mouvance rocheuse » qui comprend une nébuleuse d’intellectuels conservateurs issus du milieu technocratique ou du catholicisme social dont une partie se retrouve à Vichy. Une autre composante provient d’une famille plus laïque et universitaire dont Gustave Monod fait partie. Georges Bertier est la clé de voûte de cette relation. Il tisse des liens avec les grands commis de l’État qui vont jouer un rôle dans la réforme de l’enseignement dans la première moitié du XXe siècle. Il s’implique dans différentes organisations. Dès 1915, il fait partie du mouvement de l’Éducation nouvelle. En 1919, il adhère aux « Compagnons de l’Université nouvelle », à la Ligue internationale de l’Éducation nouvelle en 1921. En 1928, il fait partie du Bureau français d’Éducation nouvelle. Il rencontre ainsi les principaux acteurs du mouvement réformiste : Henri Piéron, Henri Wallon, Paul Langevin, Albert Châtelet…. Gustave Monod reste très imprégné de l’expérience de l’École des Roches. Il continue à s’y rendre jusqu’en 1921 en tant qu’inspecteur. À partir de 1934, il intègre le Conseil d’administration de l’École et fait partie en 1936 des six membres du Comité de direction. « De son passage aux Roches, Gustave Monod découvre ce qui restera l’objectif de toute sa vie : donner du sens à l’institution scolaire en la transformant en une communauté éducative où l’autorité professorale s’efface devant l’autorité des règles de vie en collectivité, où l’enfant est appelé à prendre des initiatives et des responsabilités dans le cadre d’une éducation de toute la personne. » 2 Gustave Monod souhaitera mettre en œuvre cette « révolution culturelle » au cœur de l’institution. Même s’il est éloigné des personnalités conservatrices liées à l’industrie et aux antipodes de sa conception humaniste, il se situe à la charnière du secteur privé et du secteur scolaire public. Modèle d’éducation active, l’École des Roches représente un laboratoire pédagogique et une expérience réussie qui inspirent les réformateurs dans le domaine éducatif de 1902 à 1947. « Viscéralement attaché à l’école laïque républicaine, le passage et la fidélité aux Roches de Monod doivent se comprendre par les aspirations qu’il a toujours nourries pour moderniser la pédagogie scolaire (…) et enfin parce qu’il a rencontré Georges Bertier, conservateur et néanmoins ami, animé d’une même foi réformiste. » 3 Gustave Monod « n’aura cesse de prendre cette école pour modèle dans le cadre des réformes scolaires dont il aura la charge bien des années plus tard ».4 L’École des Roches est pour lui un exemple pour plaider la modernisation du système scolaire public et pour parvenir à démocratiser un modèle pédagogique élitiste.

Un soldat de la grande guerre : au service du pays Contemporain de la « génération d’Agathon », il n’est ni du côté de ces pacifistes, ni de celui de ces nationalistes qui contribuent à structurer le paysage politique des années d’avant-guerre. Simplement soucieux de faire son devoir, mobilisé dès le début de la Première Guerre mondiale, il passe 44 mois au front (août 1914 - avril 1918). Enrôlé le 2 août 1914 comme simple soldat de 2e classe, il est infirmier d’ambulance. A sa demande, il est affecté au 4e régiment de marche de zouaves. Unité d’élite, ce régiment porte les fourragères aux couleurs de la Légion d’honneur et de la Médaille militaire. Il perdra les deux-tiers de son effectif à Verdun, et 9 351 morts au cours du conflit. Gravement blessé par un obus le 29 mars 1918, devant Orvillers-Sorel, il refuse d’être emmené en ambulance avant que tous ses hommes ne soient évacués. Son mal s’aggrave. Les médecins sont conduits à l’amputer à deux reprises de la jambe droite. Il reste neuf mois à l’hôpital et en sort en janvier 1919. Sa blessure et son amputation le feront souffrir jusqu’à la fin de sa vie. Ses états de service l’ont conduit à recevoir la Croix de guerre 1914-1918, la Médaille militaire et cinq citations dont deux à l’ordre de l’Armée. Il est fait chevalier de la Légion d’honneur, comme soldat de 2e classe, le 16 mars 1921, et élevé à la dignité de Grand officier de la Légion d’honneur à titre militaire, par décret du 28 juillet 1960. Son expérience de la guerre le marquera jusque dans sa réflexion d’enseignant et de réformateur de l’école, et c’est une leçon humaniste et pleine d’espérance pour ses semblables qu’il en retire. Il écrira ainsi, en 1945 « …au cours de ma vie, j’ai été mêlé à la grande foule car, pendant les quatre années de la guerre de 1914, j’ai été soldat de deuxième classe, c’est-à-dire tout proche du plus humble. C’est la plus profonde expérience humaine que j’ai eue à traverser (…) j’ai trouvé parmi mes camarades de section des trésors de cœur, de caractère, d’intelligence aussi, que les études primaires n’avaient pas mis à jour et que les circonstances de la guerre révélaient (…) j’aspire donc (…) à une pédagogie qui irait au devant des possibilités humaines que chacun porte en soi (…), qui donnerait à chacun la possibilité de s’élever ». 5 Une certaine idée de l’école 5 Gustave Monod, Cahiers pédagogiques, n°78, in Jacqueline Cambon, Richard Delchet et Lucien Lefèvre, Anthologie des pédagogues français contemporains, Paris, Presses universitaires de France, 1974, p. 293 12 Gustave Monod Gustave Monod, infirmier d’ambulance au front, 1917

Gustave Monod portant la Médaille militaire et la Croix de guerre, 1919

Une certaine idée de l’école 14 Gustave Monod Citations militaires 1ère Citation à l’ordre du régiment (juin 1916) « Infirmier régimentaire, appartenant depuis le début de la guerre à une ambulance du front, a été affecté sur sa demande, au 4e régiment de zouaves de marche. Arrivé au corps le 5 juin 1916, il a fait l’étonnement de tous par son calme, son sang-froid et son courage. S’est particulièrement distingué du 5 au 10 juin 1916 où il a été en première ligne un aide précieux pour les soins à donner aux blessés. A fait preuve du plus absolu dévouement et de la plus grande intrépidité. » 2e Citation à l’ordre du régiment (décembre 1916) « Infirmier d’un courage et d’un dévouement admirables. S’est fait remarquer dans la période du 14 au 20 décembre 1916 par un sang-froid et un zèle audessus de tout éloge. Malgré son extrême fatigue, dans un terrain des plus difficiles et dans le poste le plus avancé, a prodigué des soins à de nombreux blessés qu’il allait chercher et panser dans les toutes premières lignes. » 1ère Citation à l’ordre de la division(mai 1917) « Infirmier d’un courage et d’un dévouement sans mesure. Toujours prêt à remplir les missions les plus périlleuses, s’est particulièrement distingué au cours des combats du 16 au 25 avril 1917. Le 25 avril, accompagnant sa compagnie lancée à une contre-attaque, a relevé les blessés, leur a prodigué ses soins, gardant sous un feu des plus violents toute sa présence d’esprit et toute son adresse ; merveilleux exemple de dévouement, de don de soi-même et de mépris du danger. » Citation à l’ordre de l’Armée (novembre 1917) comportant l’attribution de la médaille militaire « Infirmier alliant à une grande habilité professionnelle et à un brillant courage une haute valeur morale. Déjà trois fois cité à l’ordre, s’est de nouveau distingué dans l’attaque du 23 octobre 1917, accompagnant les vagues d’assaut pour y exercer ses fonctions sous un tir de barrage d’une extrême violence, se dépassant ensuite sans mesure dans la recherche et la relève des blessés. » 2e Citation à l’ordre de la division(mars 1918) « Infirmier courageux et d’un grand dévouement, modèle du devoir. Blessé grièvement le 29 mars 1918, déjà décoré de la Médaille militaire. » Gustave Monod décoré de la Médaille militaire après la prise de la Malmaison, 1917 Drapeau du 4e zouaves à Strasbourg, 1918

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Un professeur exemplaire : au service des élèves Gustave Monod mène une carrière exemplaire. Ses différents rapports d’inspection en témoignent. Il ne cesse de progresser. Il est très vite reconnu par ses pairs. Il enseigne dans de nombreuses régions et dans des lieux très différents, exemple de mobilité professionnelle et géographique d’ailleurs assez fréquent à l’époque, pour les professeurs agrégés. Dans la suite de sa longue carrière, même lorsqu’il a occupé de hautes fonctions administratives, il ne s’est jamais coupé de sa mission première et de sa passion première : enseigner. En 1919, il reprend sa carrière de professeur de philosophie. Il enseigne à Toulon, à Avignon puis à Reims d’octobre 1919 à octobre 1921. Il est ensuite nommé à Tours, d’octobre 1921 à octobre 1923, puis à Marseille de 1923 à 1932 où il assume la charge de préparer les élèves au concours de l’École normale supérieure. Gustave Monod était très apprécié par ses élèves qui le considéraient comme un maître. Éducateur ferme, éclairé et exigeant, il concevait et délivrait un enseignement à la fois très classique et de plain-pied avec la réalité de son temps, dicté par un sens social très aigu. Il disait à ses élèves : « Il y a deux façons de faire une dissertation : la faire ou s’en défaire. Vous avez l’obligation de faire votre dissertation, d’aller jusqu’au bout de votre effort, car socialement parlant, vous êtes stériles. Vous ne produisez rien, là où beaucoup de jeunes gens de votre âge gagnent déjà leur vie, comme apprentis. Vous devez mettre dans votre travail scolaire l’équivalent de la peine que leur coûte leur travail manuel. » 6 Après Marseille, Gustave Monod rejoint ensuite Paris pour des raisons de famille. Il est nommé au lycée Michelet en octobre 1932 et y restera jusqu’en septembre 1933. Son passage par la khâgne de Marseille, à la fin des années vingt, fait de lui un relais en province de la pensée du philosophe Alain, même si Gustave Monod appartient plus aux lecteurs des Libres propos et des Propos sur l’éducation qu’ « …au cercle des disciples inconditionnels » du philosophe 7. Mais qui connaît Monod comprend qu’il ne pouvait être inconditionnel. L’enseignement dans les classes préparatoires représente «…un tremplin pour le philosophe (…) dont la carrière est une synthèse de deux des fins de carrières possibles pour un [professeur] de khâgne : l’Inspection générale ou l’administration centrale, les deux filières étant comme dans le cas de Gustave Monod étroitement liées et parfois précédées d’un passage par les cabinets ministériels ». 8 Une certaine idée de l’école 6 Témoignage de Roger Millieix, élève de Gustave Monod dans les années trente à Marseille. Extrait de l’Allocution de M. Roger Millieix, directeur du Centre culturel français de Nicosie, 20 mars 1969 (Archives nationales, F / 17 / 17776) 7 Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle. Khâgneux et normaliens dans l’entre-deux-guerres, Paris, Fayard, 1988, p. 442 8 Idem, p. 107 18 Gustave Monod Préparation à l’École normale supérieure de Sèvres, lycée de Versailles, 1937

Gustave Monod à son bureau en compagnie de ses deux sœurs : Germaine et Olga, à la veille de la Grande guerre

Une certaine idée de l’école 20 Gustave Monod Inspection de Gustave Monod par Francisque Vial, à Tours, le 25 avril 1923 M. Monod attire dès l’abord la sympathie. Sa qualité d’âme s’est montrée pendant la campagne, par son refus d’accepter une nomination d’officier. Blessé grièvement, il a refusé de se laisser emmener à l’ambulance avant que tous ses hommes, blessés par le même obus, aient été évacués ; et ce retard à se faire soigner a aggravé sa blessure, si bien qu’il a fallu l’amputer deux fois. Cette même générosité de sentiments, M. Monod l’a conservée, très simplement dans la vie civile ; elle se montre par sa bonne humeur, son affabilité, par son attachement à ses fonctions, la sincérité et la probité de sa pensée. Aussi exerce-t-il sur ses élèves une action profonde et très saine. A ces qualités de caractère, M. Monod joint des mérites professionnels très intéressants. Je l’ai entendu faire le cours à ses élèves de mathématiques élémentaires sur le fondement de l’induction. Il expose un ensemble d’idées, sollicitant les élèves, les faisant réfléchir et parler : mais, s’il y a de la liberté dans l’allure de ce cours, il n’y a ni divagation, ni lenteur. M. Monod sait où il va, car son plan est arrêté d’avance. L’exposé terminé, un bref résumé dicté, vient en fixer l’essentiel en quelques formules ramassées. La parole de M. Monod est sans éclat, mais simple, juste et agréable. Ce professeur, très aimé de ses élèves, obtient des résultats excellents. Gustave Monod parmi ses élèves, lycée de Tours, 1921

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Inspection de Gustave Monod par Gustave Belot, à Marseille, le 16 novembre 1928 La 1ère supérieure où j’ai vu M. Monod a acquis à Marseille une certaine importance : elle compte aujourd’hui une trentaine d’élèves, exactement 32, dont 6 jeunes filles (…). Je ne sais si l’ampleur actuelle de cette classe doit être mise à l’actif de M. Monod, car il y a roulement entre lui et les deux collègues, pour la diriger. En tous cas, il la gère parfaitement, et d’après les échos qui me sont revenus de source bien informée, c’est lui, qui des trois, a le plus de crédit auprès des élèves, quelles que soient les très estimables qualités des deux autres. La leçon que j’ai entendue portait sur un sujet vraiment difficile : l’invention. Elle était remarquablement préparée, bien que mon inspection qui commençait quelques heures après mon arrivée ne pût être prévue. M. Monod y utilisait, avec une documentation personnelle et originale, les travaux les plus récents (Delacroix, P. Valery…). Il y faisait parfaitement sentir la portée philosophique de la question, et, bien que sur un tel problème on ne peut s’attendre à des conclusions extrêmement précises, les élèves se trouvaient finalement, en présence d’une pensée riche, substantielle, suggestive ; ils en recueillaient d’ailleurs l’essentiel avec une attention remarquablement soutenue. Voilà un enseignement vraiment au niveau de ce qu’on peut demander dans une telle classe. M. Monod, grand mutilé de guerre et qui a du prendre en 1925-1926 un congé de santé (des collègues se sont alors partagés son service) souhaiterait voir son service allégé. Il va jusqu’à offrir de reverser le montant des heures dont il serait déchargé (par exemple en mathématiques). Je lui ai fait comprendre l’impossibilité d’une telle combinaison, dont je ne fais mention que pour montrer la sincérité et le désintéressement de Monod. Mais ne serait-ce pas justice de lui appliquer le traitement qui a été admis ailleurs et dont le principe avait été posé ; que dans les classes de préparation aux grandes écoles, qui exigent une préparation laborieuse, 4 heures fussent comptées pour 6, et le maximum abaissé d’autant ? Si, à l’occasion de l’ouverture du nouveau lycée Périer, la question d’une 4e chaire de philosophie se posait, peut-être trouverait-on les moyens d’améliorer la situation ? Une certaine idée de l’école 22 Gustave Monod Gustave Monod et ses collègues, lycée Saint-Charles, Marseille, 1927

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Un précurseur des réformes : au service de l’enseignement Selon les propos même de Louis Cros, Gustave Monod fut le premier à mettre en œuvre, en France, un projet de réforme scolaire où l’expérience précédait la législation. Dès son retour du front, c’est à la fois à l’enseignement et à sa réforme qu’il se consacre, comme si l’un et l’autre étaient indissociables pour lui. « Administrateur, restant en contact par tous les moyens avec la vie quotidienne de la classe, il a semé ses idées dans des centaines de circulaires, (…) entretiens, conférences, réunions de commission, présidences de stage, de toutes sortes. » 9 Parallèlement à ses activités d’enseignement, Gustave Monod s’engage en effet dans une grande œuvre civique avec les « Compagnons de l’Université nouvelle » qui mettent en avant la nécessité d’une réforme complète de l’enseignement. Cette organisation, créée le 10 octobre 1918, constituée d’universitaires qui s’étaient connus dans les tranchées, a joué un rôle très important dans l’élaboration et la propagation des idées de modernisation et de démocratisation de l’enseignement. Le « noyau dur » de cette organisation abrite en son sein une grande partie des amis de Gustave Monod : Paul Langevin, Henri Wallon, principaux acteurs des réformes à venir. Le manifeste des « Compagnons de l’Université nouvelle », publié dès 1918, contient les principaux éléments de la réforme : la nécessité de donner à tous les Français la même formation de base ; la nécessité d'élever le niveau général d'instruction et donc de prolonger une école unique (école primaire) jusqu'à 14 ans ; la dernière année de l'école unique devenant une année d'orientation. Les « compagnons » revendiquent l’idée d'une sélection par le mérite scolaire et non plus par l'argent. Ils soutiennent la gratuité du secondaire, alors payant. « Nous voulons réaliser la réforme universitaire, le pays en a besoin. Qui peut, qui doit le faire ? Ce n’est pas l’État, car il est débordé ; c’est aussi et surtout le corps enseignant, appuyé sur toute la nation. (…). Il ne faut pas seulement que l’enseignement s’adresse à tous, il faut encore qu’il fasse appel à toutes les facultés. Le corps et le caractère ne doivent pas être plus négligés que l’intelligence. Il faut faire des hommes, non des cerveaux ou des machines. » 10 Les travaux des « Compagnons de l’Université nouvelle » représentent sans conteste une source d’inspiration des réflexions et instructions ministérielles de l’entre-deuxguerres, de la résistance et du plan LangevinWallon de 1944 mais aussi de nombreux plans, Une certaine idée de l’école 9 Jacqueline Cambon, Richard Delchet et Lucien Lefèvre, Anthologie des pédagogues français contemporains, Paris, Presses universitaires de France, 1974, p. 289 10 Manifeste des Compagnons de l’Université nouvelle, Les Cahiers de Probus, n°1, oct. 1918, Paris, Librairie Fischbacher. Cité dans Paulette Armier, Le Centre international d’études pédagogiques de Sèvres et l’enseignement en France de 1945 à 1975, thèse sous la direction de M. le professeur Snyders, Université Paris V Sorbonne, 1983, p. 12 24 Gustave Monod L’ Université nouvelle, 1919

Une certaine idée de l’école Gustave Monod 25 11 Les Compagnons : L’Université nouvelle, Paris, Fischbacher, 1919, t.1, p 12 cité par Jean-Michel Chapoulie in Pierre Caspard, Jean-Noël Luc et Philippe Savoie (sld), Lycées, lycéens, lycéennes. Deux siècles d’histoire, Lyon, INRP, 2005, p. 145 12 « La Probité intellectuelle dans l’enseignement secondaire », [rapport de Gustave Monod présenté au Congrès du christianisme social à Marseille le 1er novembre 1924], Alençon, 1924, p. 6 13 Idem, p. 8 programmes et réformes depuis, même si les « compagnons » ont bien conscience que «…ce ne sont pas les professeurs et les idées de 1900 qui feront la France de 1950»11 . Ils étaient issus des mêmes milieux et conscients de l’être. Ils surent, par leur lucidité active, leur infatigable volonté réformatrice et leur sens du service public dépasser la seule référence à l’état du système éducatif tel qu’il était lorsqu’il les avait construits, et qu’ils respectaient cependant pour cela. Une autre clé pour comprendre la formation du projet pédagogique de Gustave Monod se trouve dans le rapport qu’il présente dès 1924, au Congrès du christianisme social, à Marseille. Son programme est contenu dans son titre : « La probité professionnelle dans l’enseignement secondaire ». Deux extraits sont particulièrement explicites : « Notre rôle est de faire penser, de révéler les problèmes… à la limite, et pour les plus grands élèves, d’inquiéter l’intelligence plus que de la satisfaire. » 12 et plus loin : « Il n’y a pas d’instruction sans éducation. » 13 Gustave Monod s’engage également dans le soutien à la Société des Nations. Il fonde à Marseille avec Louis François, Inspecteur général d’histoire, éducateur dans l’âme et protestant comme lui, la section locale du Groupement universitaire pour la SDN, et une « École de la Paix », où s’inscrivent les grands élèves, les étudiants et tous ceux qui mesurent la folie d’une guerre civile européenne. Cette École invite des conférenciers tels qu’André Siegfried, Jules Romains et Anatole de Monzie, dont Gustave Monod fait la connaissance à cette occasion et qui une fois nommé ministre le prendra auprès de lui, au sein de son cabinet, comme proche collaborateur. Gustave Monod appelé au cabinet d’Anatole de Monzie Conférence à l’École de la Paix

Une certaine idée de l’école 26 Gustave Monod Louis François, Inspecteur général d’histoire et de géographie, un des plus proches compagnons de Gustave Monod. Entré au réseau « Confrérie Notre Dame » en mars 1942, pseudo Vidal. Il est arrêté le 25 septembre 1942. Déporté, il rentrera des camps le 22 mai 1945.

14 Louis François (sld), « Gustave Monod par ceux qui l’ont connu », hommage collectif rendu par René Capitant, Claire Roby, Louis Cros, Suzanne Brunet, Edmée Hatinguais, la radio-télévision scolaire, Cahiers pédagogiques, n°80, février 1969, CRAP, p. 2 Louis François (1904-2002) Agrégé d’histoire-géographie, ami intime de Gustave Monod, il pratique la pédagogie active dès les années 30. En mai 1940, le capitaine de réserve François devient officier d’état major aux côtés du colonel puis général de Gaulle qui commande, alors, la 4e division cuirassée de réserve lors de la bataille de France. Résistant, dénoncé en 1942, il est déporté à Sachsenhausen puis à Neuengamme. Il rentre en France en 1945. Nommé Inspecteur général, il décide, à la Libération, de se consacrer à la reconstruction de l’éducation nationale. Il fait avancer des dossiers essentiels : les méthodes actives, les classes nouvelles, l’instruction civique… Il devient le premier secrétaire général de la Commission nationale pour l'Unesco. En 1949, à Sèvres, dans une réunion de chefs d'établissement, le directeur général de l'Unesco, Torres Bodet lui propose la création de clubs d'amis de l'Unesco dont il devint le fondateur. En 1950, grâce à sa double autorité d'Inspecteur général et de secrétaire général de la Commission française pour l'Unesco, quarante-cinq clubs étaient créés. Il tenait à l'appellation d'origine « Clubs d'études et de relations internationales » : « études » c'est-à-dire la connaissance, l'information du présent pour former un citoyen ayant le devoir et la capacité de participer de façon active à la vie politique, économique, sociale et culturelle de la cité, de la nation et du monde. Comme Gustave Monod ou Jean Ghéhenno, il rêva d’éducation populaire, d’espaces européens, de jeunes responsabilisés. Il associait étroitement un civisme profondément républicain à la dimension internationale, nourrie des idéaux de l'Unesco de justice et de paix. Il fut un initiateur comme en témoigne le nombre d'associations dont il fut le président : les Éclaireurs de France, l'Association nationale des communautés éducatives, les bourses Zellidja, le concours de la Résistance. Il abandonna la présidence active de la Fédération française des Clubs de l’Unesco en 1979. Son engagement n'en faiblit pas pour autant, jusqu'au bout il est resté à l'affût du monde, prêt à s'enflammer, prêt à s'indigner, prêt à servir. Témoignage de Louis François 14 « J’ai connuGustaveMonod lorsque je suis arrivé à Marseille comme jeune professeur d’histoire et de géographie. (…) Deux huguenots qui vont vite devenir des amis fraternels, car ils vont mener ensemble des combats successifs pour la “réforme” contre toute une série d’orthodoxies. (…) Ce fut, dès 1929, le combat pour la SDN et pour la paix. Avec des moyens importants, en grande partie fournis par Gustave Monod lui-même, nous fondions une École de la Paix à laquelle bientôt s’inscrivaient les lycéens, les étudiants, les Marseillais de toutes sortes. Nous avions loué un local en plein centre de la ville qui comprenait bibliothèque, salle de lecture et salle de débats techniques. Nous organisions à l’Opéra, avec les grands ténors de la politique d’alors (de Jouvenel, Monzie, Déat, Siegfried, etc.), des conférences publiques qui avaient lieu dans un ordre parfait, car nous obtenions la neutralité des trublions d’Action française par l’entremise de nos élèves qui en étaient membres. C’est ainsi qu’Anatole de Monzie découvrit Gustave Monod et le choisit comme directeur de cabinet. » Une certaine idée de l’école Gustave Monod 27

Une certaine idée de l’école 28 Gustave Monod En 1933, Gustave Monod est appelé au cabinet d’Anatole de Monzie, ministre de l’Éducation nationale. Il continue parallèlement d’exercer comme professeur de philosophie à l’école d’application annexe de l’École normale supérieure de jeunes filles de Sèvres (octobre 1933-septembre 1934). Lorsqu’il quitte le ministère, il est nommé aux lycées Louis-le-Grand et Condorcet puis à Versailles (octobre 1934-septembre 1936). Son expérience de cabinet est à l’image de l’homme : fidèle à ses convictions et les mettant en application dès lors qu’il exerce des responsabilités. Ainsi, c’est lui qui conduit le ministre à assister, au lycée Henri-IV, le samedi 1er juillet 1933, à l’avant - dernier cours d’Emile Chartier, dit Alain, pour « …saluer un membre éminent de la république des Lettres […] le professeur qui avait marqué de son empreinte des générations de khâgneux ». 15 C’est au même moment qu’est lancée, dans l’esprit du temps, l’Encyclopédie française, et Lucien Febvre choisi comme maître d’œuvre de l’aventure : une décision à laquelle Gustave Monod semble ne pas avoir été étranger. 16 Dès l’été 1932, les correspondances de Gustave Monod en charge du dossier au cabinet du ministre de l’Éducation nationale à Sébastien Charléty, recteur de l’Université de Paris, assignent à l’Encyclopédielamission de lutter contre l’irrationalisme. Elle devra manifester que l’Université n’a qu’ « une doctrine : la science 17». Monzie confirma publiquement cette orientation. Du point de vue éditorial, Gustave Monod propose une conception originale et singulière pour l’époque. L’idée traduit l’ambition d’une grande entreprise d’État. Monod envisage de faire construire un fichier à la Bibliothèque nationale, une « Encyclopédie dynamique », précise-t-il. Il se serait agi en fait d’une « Encyclopédie-fichier », conçue comme une institution « permanente et ouverte », « [un] fichier encyclopédique […] nécessairement international : une manière de bureau international de la science ». Il ajoute : « l’esprit encyclopédique ne serait plus condamné à attendre de telles occasions historiques de se manifester18». Ce fichier se serait suffi à lui-même et aurait pu être vendu aux bibliothèques privées ou publiques. Au cours de l’été et de l’automne 1933, Lucien Febvre fait progressivement admettre une voie moyenne entre la traditionnelle encyclopédielivre et l’innovante encyclopédie-fichier. Ce fut le slogan « les pages changent, le livre reste » ou comme le disait Henri Berr « une œuvre qui ne vieillira jamais mais connaîtra une refonte perpétuelle 19». Séance de travail de l’Encyclopédie française, en 1935, de gauche à droite : Jules Romain (1885-1972), Lucien Febvre (1878-1956), Anatole de Monzie (1876-1947), Sébastien Charléty (1867-1945) 15 Jean-François Sirinelli, op. cit., p.427 16 Idem, p. 108 17 BNF n a f 25550 f° 103 p. 15 18 BNF n a f 25550 f°111 et suivants (été et automne 1932). C’est le principe des encyclopédies en temps réel sans la technologie de l’informatique ! Cité in Marie Jaisson et Eric Brian (sld), « Coup d’œil sur l’Encyclopédie », Le point de vue du nombre de 1936, édition critique, Paris, Institut national d’études démographiques, 2005, pp.15-16 19 BNF n a f 25551 f° (30 octobre 1932)

Une certaine idée de l’école C’est aussi Gustave Monod qui, pour rapprocher la France de l’Allemagne, et dans la fidélité à ses positions en faveur de la Société des Nations et de la paix, propose à la Commission du désarmement moral de la SDN que soit rédigé un manuel d’histoire franco-allemand, initiative reprise soixante-dix ans plus tard, lors du 40e anniversaire du traité franco-allemand, le 23 janvier 2003. 20 Au cours de l’année 1936, Gustave Monod participe aux travaux du Congrès du Havre, du 31 mai au 4 juin. Cette assemblée se proposait de mettre à l’étude « les conceptions relatives à l’enseignement secondaire ». La présidence est assurée par Albert Chatelet, alors recteur de l’Académie de Lille, avec comme assesseur Paul Langevin. Mais c’est Gustave Monod qui laisse son empreinte sur les travaux du congrès. Des commissions appelées « sections » se partagent quatre grands thèmes : - organisation générale, rapporteur Langevin ; - organisation de l’enseignement scientifique expérimental, rapporteur Lemoine ; - organisation de l’enseignement technique, rapporteur Fournel ; - organisation de l’éducation morale, rapporteur Monod. « L’idée centrale c’est que l’enseignement du second degré doit donner une base minimum de culture générale et développer la personnalité de l’enfant. Les orientations du Havre, telles qu’elles apparaissent dans les vœux finaux mis en forme par Gustave Monod, sont les suivantes : - limitation de l’effectif à 25 élèves ; - nécessité d’introduire partout les exercices pratiques et les travaux d’atelier ; - création d’écoles expérimentales pour essayer de coordonner les enseignements ; - intégration de l’éducation physique à la vie scolaire ; - régime souple permettant l’interpénétration des disciplines scientifiques et littéraires ; - prise de conscience d’un besoin de rénovation pédagogique dans toute la France. » 21 Toutes les réformes de l’enseignement du second degré sont en germe dans les rapports du Congrès du Havre, et d’abord la création des classes d’orientation, en 1937, qui donneront le jour, à la Libération, aux « classes nouvelles ». En 1936, Gustave Monod est nommé par Jean Zay inspecteur d’Académie en résidence à Paris (décret du 16 juin 1936). Il occupe cette fonction à compter du 1er octobre de la même année jusqu’au 12 mars 1941. Gustave Monod ne perd jamais de vue son rôle en tant qu’acteur de l’enseignement ; il s’engage dans différentes associations qui prônent son changement et sa réforme. Mais il est avant tout un visionnaire qui saisit le changement profond de la société et la nécessité de faire évoluer le système éducatif, au nom d’une certaine idée de l’école. Il a été frappé, en particulier, par la prolongation de la scolarité et s’est interrogé sur les moyens de l’endiguer et de l’accompagner : « …c’est avec cette référence nouvelle d’une croissance de la scolarisation - qui semble davantage tenue pour inévitable que pour souhaitable – que fut élaborée la politique scolaire conduite de 1936 à 1939, puis de 1944 à 1951». 22 20 Jean-François Sirinelli, op. cit., p. 108 21 Paulette Armier, Le Centre international d’études pédagogiques de Sèvres et l’enseignement en France de 1945 à 1975, thèse sous la direction de M. le professeur Snyders, Université Paris V Sorbonne, 1983, pp. 19-20 22 Jean-Michel Chapoulie « Entre le lycée d’élite et le lycée de masse. Paul Langevin, Gustave Monod et les réformes de l’enseignement secondaire de 1936-1939 et 1944-1951 » in Pierre Caspard, Jean-Noël Luc et Philippe Savoie (sld), Lycées, lycéens, lycéennes. Deux siècles d’histoire. Lyon, INRP, 2005, p. 146 Gustave Monod 29 Affiche du Congrès du Havre, 1936

Une certaine idée de l’école 30 Gustave Monod

Anatole de Monzie (1876-1947) Après avoir fait des études de lettres puis de droit, il devient avocat. Très tôt attiré par la politique, il entame, dès 1902, en tant que chef de cabinet du ministre de l'Instruction publique une longue carrière politique et administrative. Il fait du Lot son fief politique. Élu à vingt-huit ans, conseiller général de Castelnau-Montratier, il est député en 1909 à Cahors, adhérent à un petit groupe républicain-socialiste. De 1919 à 1929, il est sénateur du Lot, puis à nouveau député et enfin maire de Cahors. Dix-huit fois ministre, il totalise près de six ans de présence au gouvernement (marine marchande, finances, justice, travaux publics...). À deux reprises, il est nommé à l’éducation, ministre de l’Instruction publique en 1925 et, de 1932 à 1934, ministre de l’Éducation nationale. Son bref passage au ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, en 1925, est marqué par la publication de célèbres Instructions sur l'enseignement de la philosophie, le 2 septembre 1925, qui affichent l'ambition d'un enseignement de la philosophie propre à former le citoyen. En 1933, Anatole de Monzie, ministre de l'Éducation nationale, appelle Marcel Abraham comme chef du bureau politique de son cabinet. Il est le premier à prendre ce titre, substitué à celui de ministère de l’Instruction publique. Il avait rendu visite à Gustave Monod avant qu’il ne quitte Marseille, et avait été frappé de ses éminentes qualités. Il y a de bonnes raisons de penser que cette visite ne fut pas étrangère au changement d’appellation du ministère et à sa signification. Dès sa prise de fonction, en 1932, en tant que ministre de l'Éducation nationale, il expliqua ainsi que ce changement d'appellation devait marquer la volonté du gouvernement d'aller vers davantage d'égalité scolaire et, par suite, davantage de gratuité. Dans cette optique, il généralisa, dès 1932, la gratuité de l'enseignement secondaire destiné aux filles. En 1933, il créa le Conseil supérieur de la recherche scientifique et la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement secondaire. Jean Zay (1904-1944) Après des études de droit, il devient avocat en 1928. Inscrit au Parti radical, il est membre de la Ligue des Droits de l'Homme et responsable de la Ligue de l'enseignement. En 1932, à 28 ans, il est élu député du Loiret. Le 4 juin 1936, il est membre du gouvernement du Front populaire comme ministre de l'Éducation nationale et des Beaux-Arts. Il occupe cette fonction jusqu’en 1939. Jean Zay prépare un projet de réforme éducative, adopté le 2 mars 1937 en conseil des ministres mais qui n’a jamais été voté du fait de la guerre. Ce projet visait à démocratiser l'enseignement en unifiant l'enseignement primaire et en harmonisant le secondaire, mais aussi à améliorer la formation des enseignants. Il réorganise le ministère et prend plusieurs mesures importantes : la scolarité obligatoire jusqu'à 14 ans, la limitation des classes à 35 élèves, la généralisation des activités dirigées, des classes d’orientation… Jean Zay a tenté de créer une École nationale de l’administration mais il s’est heurté à de nombreuses oppositions. Il a cherché à développer la recherche scientifique et a préparé, en octobre 1939, la création du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). La même année, il donne sa démission pour rallier son poste dans l’armée française. En juin 1940, il part rejoindre le gouvernement en Afrique du nord. Traduit en justice par le gouvernement de Vichy pour désertion en présence de l’ennemi, il est condamné, le 4 octobre 1940, par le tribunal militaire à la déportation à vie et à la dégradation militaire. De sa prison de Riom, il continue à travailler pendant sa captivité, préparant les réformes qu'il pense pouvoir mettre en œuvre après la Libération. Sous prétexte d'un transfert à la prison de Melun, il est assassiné, le 20 juin 1944, dans un bois à Molles, dans l’Allier, par des miliciens de Joseph Darnand. Son corps est retrouvé en 1945. Il est réhabilité à titre posthume et cité à l’Ordre de la Nation. Une certaine idée de l’école Gustave Monod 31

Une certaine idée de l’école 23 Gustave Monod, « Le régime de l’Enseignement par M. Monod », École nationale d’administration - Stage en France des fonctionnaires des puissances signataires du traité de Bruxelles, Conférence du 24 octobre 1950, archives du CIEP 24 Idem 32 Gustave Monod Gustave Monod mesurait l’ampleur des problèmes quantitatifs et administratifs qui allaient se poser : construction d’établissements, création d’emplois. Il savait aussi qu’ils étaient indissociables des problèmes qualitatifs pédagogiques : ceux concernant la formation des enseignants et la nature de l’enseignement qu’il fallait désormais dispenser, au niveau secondaire, non plus seulement à une élite restreinte, mais à la totalité des enfants et adolescents de chaque génération. Adapter l’enseignement du second degré à la diversité nouvelle des élèves et de leur destin, c’était précisément l’objet des classes novatrices que Gustave Monod voulut mettre en œuvre. Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale du Front populaire établit, par la loi du 9 août 1936, la scolarité obligatoire jusqu’à quatorze ans et la nécessité d’obtenir le certificat d’études à onze ans pour être admis dans le secondaire. C’est la plus grande réforme depuis Jules Ferry et la gratuité et l’obligation de l’école primaire, en 1882. La Troisième République n’avait pas créé l’enseignement primaire, mais en avait fait un service public ; le Front populaire entend promouvoir l’unité de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire, un enseignement diversifié, individualisé, qui fait une large place à l’observation et à l’expérimentation. Dans le même temps, la réorganisation du ministère, en intégrant les écoles primaires supérieures (et leurs enseignants) au monde des lycées et des collèges, ouvrait la voie d’une réforme possible. C’est pour appliquer cette politique, dans l’esprit des « Compagnons de l’Université nouvelle », et en finir avec le cloisonnement des « ordres » de l’enseignement que Gustave Monod est nommé adjoint à titre temporaire au directeur de l’enseignement secondaire et qu’il prend en charge l’étude de la coordination des enseignements du second degré et d’un nouvel aménagement des horaires et des programmes (arrêté du 8 janvier 1937). Chargé de mission auprès du recteur de l’Académie de Paris et du directeur de l’enseignement secondaire pour les questions concernant l’organisation de l’enseignement du second degré, il a rang et prérogatives d’Inspecteur général de l’Instruction publique (décret du 7 octobre 1937). En cette qualité, il est le principal animateur de la création par le ministre Jean Zay des « classes d’orientation ». Les classes d’orientation de la période 19371939, au nombre d’une vingtaine, groupaient 25 élèves, on y pratiquait les méthodes « actives ». Tout l’état major qui, plus tard, entoura Albert Châtelet était déjà à pied d’œuvre, en particulier Georges Condevaux, Roger Gal, Alfred Weiler. Les classes d’orientation n’ont été ouvertes que pour deux ans. Par une lettre du ministre Jean Zay aux recteurs, en date du 20 mai 1939, Gustave Monod est chargé d’une dernière mission, dans les centres scolaires où existaient des classes d’orientation, pour tirer les leçons de cette expérience nouvelle. Les classes d’orientation « Dès avant 1939 et la Commission Langevin, nous avions conçu des classes d’orientation, des classes indifférenciées où les enfants étaient tous reçus en masse, soumis à un certain nombre d’épreuves et d’observations. Au bout d’un certain temps, on pouvait dire à la famille : “ Vous feriez mieux de faire faire à cet enfant ceci ou cela.” Je ne prétends pas que l’on fasse de l’orientation au sens objectif et scientifique du mot, comme si l’on avait repéré chez l’enfant telle ou telle aptitude incontestable, mais je prétends que cette orientation, conseillée, fondée sur des observations, des expériences, est certainement meilleure que celle que le hasard ou une indication du concierge peut donner à l’entrée en sixième. » 23 « Les classes d’orientation étaient caractérisées par la multiplicité des options offertes aux élèves, disciplines intellectuelles (lettres et sciences), mais aussi enseignements techniques qui devaient être offerts avec le même sérieux, la même gravité que les premières. (…) » 24

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