n° 72, septembre 2016
Pas d’éducation sans autorité ni sans confiance. Et pourtant, il semble qu’il soit devenu urgent, partout dans le monde, de rappeler cette évidence, voire d’interroger ces notions faussement limpides.
Nourri d’études inédites et d’approches diverses, ce numéro 72 de la Revue internationale d’éducation de Sèvres se propose d’observer la place et les formes de la confiance dans dix pays aux contextes très variés : Angleterre, Bénin, Brésil, Cambodge, Chili, Djibouti, Finlande, France, Nouvelle-Zélande, Portugal.
A quoi tient la confiance dans les classes, dans les établissements et au sein des systèmes éducatifs ? Comment la mesurer et à quelles conditions la soutenir, quand crise de l’éducation et crise de la confiance semblent aller de pair ?
Posant des diagnostics, définissant des concepts opératoires, les auteurs montrent à quel point le champ pédagogique n’est pas indépendant du social, du politique et de ses événements. Ils s’engagent pour formuler des propositions originales.
C’est une philosophie concrète de la confiance qui est proposée ici, en tant que condition de la démocratie et mode d’action pour une éducation de qualité.
Un numéro coordonné par Laurence Cornu, professeur et co-directrice de l’équipe de recherche « Éducation, Éthique, Santé ».
Présentation du n°72 de la RIES par Laurence Cornu par cieptv
BONUS - Présentation du n° 72 de la RIES par Laurence Cornu par cieptv
Sommaire du numéro
Actualité internationale
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Actualité documentaire
Bernadette Plumelle
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Ressources en ligne
Federica Minichiello
Inciter l’entrepreneuriat par l’éducation : une priorité internationale -
Le point sur l’actualité internationale en éducation
Anna Butašová, Arnaud Segretain
Jean-Marie De Ketele
L’indispensable rapport PASEC 2014
Maroussia Raveaud
Privatiser l’enseignement public ? Les académies en Angleterre
Nouvelles visions pour l’éducation nationale en Slovaquie
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Repères sur les systèmes éducatifs étrangers
Enkeleda Arapi, Frédéric Lasserre
Le cycle de réformes éducatives en Albanie : une transition vers les normes occidentales
Christian Maroy, Xavier Pons
Gouverner l’école par ses résultats ? Une comparaison France-Québec -
Notes de lecture
Xavier Pons
The Global Testing Culture. Shaping Education Policy, Perceptions and Practice, William C. Smith (sous la direction de), Oxford, Symposium Books, 2016
Dossier
Introduction
Pour une culture pratique de la confiance, utopie concrète
Laurence Cornu
Comment se présentent autorité et confiance de par le monde dans les (dés)orientations contemporaines de l’éducation ? Chaque pays se confronte à la crise de l’autorité, ainsi qu’aux défauts de confiance : à travers dix études conduites dans le monde, on voit à quel point le champ pédagogique n’est pas indépendant du social, du politique et de ses événements. Mais « la confiance » est difficile à objectiver, comme à définir. Manifestant une véritable ingéniosité dans le recueil de données, les auteurs ont distingué des formes de confiance (relationnelle, institutionnelle, etc.), posé les problèmes de la fiabilité, de la sécurité nécessaire à l’éducation, ceux d’une confiance dans le monde, d’un sens de l’école, dans les défiances contemporaines. Où il apparaît d’une part que la démocratie ne peut se passer de confiance entre égaux, ce qui engage à repenser l’autorité, comme la pédagogie. Mais, d’autre part, que le néolibéralisme introduit en éducation des injustices qui ruinent la confiance éducative. D’où des propositions anthropologiques, éthiques et politiques engagées, résistant à l’autoritarisme comme à la transformation de l’éducation (et des élèves) en marchandise, soutenant une culture pratique de la confiance, utopie non illusoire, philosophie concrète de l’agir ensemble, avec les « nouveaux-venus » (les enfants), et entre ceux qui assument la responsabilité éducative.
La confiance en éducation entre l’autorité et le pouvoir
Quelques réflexions sur les réalités éducatives au Portugal
Adalberto Dias de Carvalho, Nuno Fadigas
Réfléchir à la notion de confiance en éducation conduit immédiatement à réfléchir sur celles d’autonomie et de responsabilité, dans la mesure où ces dernières se rapportent à des conduites centrales dans une communauté démocratique qui repose toujours sur la confiance. En effet, vivre ensemble en démocratie présuppose l’ouverture à l’autre en tant que partenaire d’une socialité où s’exposent notre vulnérabilité et notre dépendance. Ces contraintes nécessitent une éducation capable de construire une citoyenneté respectant justement les valeurs de la dignité humaine. Quelques caractéristiques des réalités éducatives portugaises sont présentées à ce sujet.
La relation maître-élève et la question de l’autorité
Une étude sur le Bénin
Clarisse Napporn
La relation maître-élève, de l’école élémentaire à l’université, se caractérise par un rapport de pouvoir envisagé souvent comme un rapport d’autorité. Par le passé, au Bénin, la personne de l’enseignant inspirait le respect et le maître représentait une autorité éducative et un modèle. L’exercice de ce pouvoir et de cette autorité ne semble plus aussi évident et revêt aujourd’hui des formes très variées, dans un contexte marqué par une politisation accrue du système éducatif béninois. Cet article s’appuie sur une enquête menée auprès de 649 élèves, enseignants du primaire et du secondaire, responsables académiques et parents d’élèves, afin de répertorier les formes que prennent les relations maître-élève et de faire ressortir les indicateurs de l’affaiblissement de l’autorité du maître. Les résultats de l’enquête ont aussi permis d’indiquer les qualités et les valeurs attendues des enseignants.
Éduquer à la confiance dans une société de défiance
Le cas de la France
Denis Meuret
Cet article s’interroge, sur la base de comparaisons internationales, sur les raisons que l’on peut trouver à l’importance de la défiance à la fois dans l’école et dans la société française. Il propose des hypothèses à cet égard, sur la base desquelles il essaie d’indiquer quelques caractéristiques d’une expérience scolaire ou d’un fonctionnement de l’école susceptibles d’accroître la confiance entre les acteurs de l’école ainsi que de construire des citoyens enclins à faire confiance aux autres, tout en étant aussi capables d’une certaine vigilance.
Confiances multiples (et parfois dissociées) des enseignants chiliens
Une étude dans les écoles primaires de la région de Valparaíso
José Weinstein, Dagmar Raczynski, Macarena Hernández
Cet article rend compte d’une étude menée dans les écoles primaires de la région de Valparaíso, au Chili, sur deux types de confiance qu’éprouvent les enseignants et sur les liens qui peuvent éventuellement naître entre eux : la confiance relationnelle et la confiance politique. La première renvoie au sentiment éprouvé par les enseignants à l’égard des différents acteurs avec lesquels ils sont en relation quotidiennement à l’intérieur de l’école, tandis que la seconde fait référence à la confiance qu’ils ressentent à l’égard des institutions éducatives et d’autres institutions ou acteurs-clés de la société chilienne. Après une brève description des concepts et du dispositif de recherche employés pour l’analyse, la méthodologie de l’étude réalisée est présentée, ainsi que ses principaux résultats ; puis quelques conclusions synthétiques et points de discussion sont proposés à partir des données exposées.
Des rapports à l’école à Djibouti : entre confiance et défiance
Rachel Solomon Tsehaye
Cet article vise à interroger les rapports à l’école et aux savoirs, en évaluant leur légitimité au travers des discours des enseignants, des parents et des élèves à Djibouti. En rendant compte à quel point les différents modes de scolarisation, par les savoirs qu’ils diffusent et qui les identifient, font ou non autorité, sont appréhendées la confiance et la défiance manifestées envers l’école, publique et privée, coranique ou catholique, envers ses contenus, ses diplômes et les aspirations professionnelles auxquelles chaque type renvoie.
Kia tu-taiea : honorer les liens
Confiance, éducation et autorité en Nouvelle-Zélande
Mere Skerrett, Jenny Ritchie
L’histoire de la colonisation, à laquelle se sont superposées des tendances modernistes et, plus récemment, néolibérales, a eu un grave impact sur les communautés maories en Nouvelle-Zélande. La confiance a disparu de la relation entre colonisé et colonisateur, et de nombreux Maoris sont aux prises avec les conséquences toujours actives de la colonisation : perte des langues, des savoirs et pratiques relatifs à la guérison, au spirituel, à l’éducation des enfants et à l’éducation de façon générale. Cet article examine les réponses qui ont été apportées à ces pertes, autant du point de vue de la conception maorie de l’éducation de la petite enfance, en immersion, afin de maintenir son autorité propre, que de celui de la majorité blanche dominante. Il met en évidence les tensions qui freinent la capacité des familles et des tribus maories à rétablir leurs langues et leurs pratiques en matière de soin et d’éducation de leurs jeunes enfants.
Autorité, responsabilité, pédagogie et évaluation dans les établissements scolaires anglais
Peter Kelly
Cet article s’attache à démontrer, d’une part, que le néolibéralisme est une réponse à une crise de l’autorité et, d’autre part, dans le domaine de l’éducation, que la confiance autrefois accordée à l’autorité de l’enseignant se voit aujourd’hui remplacée par la croyance selon laquelle c’est la fameuse « main invisible » qui dirige le marché. L’évaluation standardisée, légitimée en vertu de son lien avec la clarté, l’objectivité et la précision scientifiques, occupe une place centrale dans la réforme néolibérale de l’éducation. Mais les modalités d’évaluation modifient le sens même des pratiques en matière d’éducation et façonnent les rapports sociaux. La façon dont ces modalités contribuent à façonner le curriculum, la pédagogie et les perceptions subjectives des élèves relève d’un processus complexe et l’un des facteurs importants est de déterminer qui, parmi ceux chargés de rendre des comptes en matière d’évaluation standardisée des élèves, sont les mieux placés pour influencer ce processus. À partir des résultats d’une étude récente, l’article examine ce que ces questions impliquent sur le plan du curriculum, de la pédagogie et des élèves.
Confiance, défiance et (abus d’) autorité dans l’éducation au Cambodge
Leçons tirées de l’école de l’ombre
Mark Bray, Junyan Liu, Wei Zhang, Magda Nutsa Kobakhidze
Partout dans le monde, au cours des dernières décennies, l‘enseignement privé complémentaire s’est développé de façon considérable, parallèlement à la scolarité régulière. On appelle souvent « école de l’ombre » certaines formes d’enseignement complémentaire, car leurs programmes ressemblent à ceux des classes ordinaires. Au Cambodge, il est fréquent que des cours parallèles complémentaires soient dispensés par des enseignants du secteur public, parfois même à leurs propres élèves et dans leurs propres établissements. Pour recruter des élèves pour leurs cours privés, les enseignants utilisent l’autorité qui leur est conférée en tant que professeurs. Cela peut limiter le développement de la confiance dans le système scolaire, mais la plupart des familles n’ont pas la possibilité de remettre en cause ces arrangements. Si l’exemple cambodgien peut être un cas extrême, l’article suggère que les caractéristiques de base de cette tendance valent pour de nombreux pays.
Des lycéens se constituent en « groupe sujet »… et réinventent une confiance politique
Le cas des écoles de l’État de São Paulo au Brésil
Sílvio Gallo, Alexandre Filordi de Carvalho
Cet article aborde la question de la perte de confiance politique dans la gestion de l’État, et – paradoxalement – l’apparition d’une confiance de la communauté dans l’espace public, à travers l’analyse d’un événement politique récent au Brésil. Au deuxième semestre 2015, après l’annonce, par le secrétariat à l’éducation de São Paulo, d’un processus de réforme du système scolaire impliquant la fermeture d’établissements, des groupes de lycéens ont essayé en vain d’entamer un dialogue avec le gouvernement puis ont occupé plusieurs écoles publiques, ce qui a conduit à un recul du gouvernement. On peut lire cet événement comme une transformation de « groupes assujettis » en « groupes-sujets ».
La confiance, pierre angulaire du système éducatif en Finlande
Irmeli Halinen, Hannele Niemi, Auli Toom
Cet article se penche sur la façon dont la confiance, dans sa philosophie et sa culture, se manifeste au sein du système éducatif finlandais, en s’appuyant sur certains exemples relatifs aux processus et aux systèmes à l’échelle nationale, ainsi qu’aux fonctions à l’échelle locale. Le processus de conception du curriculum de base national, dans ses diverses déclinaisons locales, s’effectue de manière très collaborative, grâce à une forte implication des acteurs et à une confiance mutuelle. De nombreuses procédures qui revêtent un caractère important, comme l’évaluation des élèves, illustrent également cette culture de la confiance. Dans le système finlandais, il n’est pas nécessaire de mettre en place des mécanismes de contrôle et, de ce fait, la Finlande est dépourvue de tout système d’inspection ou d’évaluation à fort enjeu. Tout cela exige des enseignants professionnels et hautement qualifiés ainsi qu’un excellent programme de formation des enseignants. L’article aborde également le rôle important que joue la confiance sur le plan de la qualité de l’enseignement supérieur et de la formation des enseignants. Enfin, il examine certains défis qui se poseront à l’avenir.
Références bibliographiques
Bernadette Plumelle
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