(s)'éduquer par l'engagement
N° 88, décembre 2021
Coordination : Valérie Becquet
Si l’éducation à la citoyenneté est une mission traditionnellement confiée à l’école, elle s’opère également à travers une pluralité d’expériences d’engagement dans et hors de l’école. Ce 88e dossier de la Revue internationale d’éducation de Sèvres étudie ainsi la diversité des pratiques des jeunes en dehors de l’école pour interroger le rapport entre éducation et engagement.
Comment les jeunes apprennent-ils à s’engager ? Et qu’apprennent-ils de l’engagement ? Pour répondre à ces questions, les articles s’intéressent à des contextes socioculturels et politiques contrastés : la Bulgarie, le Canada, le Chili, la France, le Maroc, le Royaume-Uni, la Suède, Singapour et la Turquie.
Si les jeunes grandissent dans des contextes différents, le dossier met en évidence des proximités non seulement dans les causes qui les mobilisent, les dispositifs qui leur sont proposés par les institutions publiques ou par des organisations de la société civile, mais aussi dans les formes qu’ils inventent. Les espaces d’engagement sont pluriels et évolutifs. Sur cette trame, les jeunes construisent en filigrane leurs expériences d’engagement
Analyser les relations entre éducation et engagement interroge nécessairement le rôle de l’école en matière de formation du citoyen. Selon les pays, l’engagement peut s’avérer une dimension à part entière du système éducatif, révéler à l’inverse une certaine inadéquation des programmes et des dispositifs scolaires aux intérêts et aux pratiques des jeunes ou encore circuler entre espace scolaire et espaces d’engagement des jeunes.
Une invitation à penser l’engagement comme un défi éducatif.
Un numéro coordonné par Valérie Becquet, professeure des universités (sciences de l’éducation et de la formation) à Cergy Paris Université (CYU) et membre du laboratoire École, Mutations, Apprentissages (EMA).
Ses recherches portent sur les politiques éducatives et de jeunesse dans le champ de la citoyenneté, ainsi que sur les parcours et les pratiques d’engagement des jeunes.
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Sommaire
Actualité internationale
Actualité documentaire
Hélène Beaucher
Ressources en ligne
Federica Minichiello
Pour une orientation innovante et tout au long de la vie
Le point sur l’actualité internationale en éducation
Argentine : une politique pour recréer le lien scolaire durant la pandémie
Alejandra Birgín, María Magdalena Charovsky
Retour en classe au Mexique
Carlos Ornelas
Un récit mobilisateur pour la jeunesse : les initiatives des institutions européennes
Armand Beuf
Repères sur les systèmes éducatifs
L’Europe de l’éducation : faire vivre l’expérience acquise du manuel franco-allemand d’histoire
Jean-Louis Nembrini
À propos du système éducatif nigérien
Abdoulaye Diallo
Notes de lecture
Werner Zettelmeier
Regards sur l’école, Alain Boissinot, Canopé/CNDP (collection Éclairer), 2021
Jean-Pierre Véran
Histoire de l’enseignement en France, Jean-Noël Luc (dir.), Armand Colin, 2020
Dossier
(S')éduquer par l’engagement
Coordination : Valérie Becquet
Introduction
(S)’Éduquer par l’engagement : des visées politiques aux expériences formatives
L’éducation à la citoyenneté est une mission traditionnellement confiée à l’École au travers de curricula destinés à l’acquisition de connaissances et de compétences civiques. Elle s’opère également au travers d’une pluralité d’expériences dans et hors de l’école. Ces dernières se déploient au sein de trois espaces qui en orientent la teneur et permettent d’interroger les manières dont les jeunes apprennent à s’engager et apprennent de l’engagement. Si des visées éducatives sont souvent mises en avant dans les discours politiques et institutionnels, à l’échelle mondiale comme nationale, s’intéresser au quotidien des dispositifs proposés aux jeunes, des collectifs qu’ils investissent et des protestations qu’ils orchestrent éclaire la diversité des apprentissages qui en résultent et leur inscription dans les biographies juvéniles.
Citoyenneté cosmopolite : apprendre par la participation sociale et civique à Singapour
Wing On Lee, Suzanne S. Choo
Les villes cosmopolites sont généralement des centres d’innovation scientifique et économique qui abritent des réseaux financiers mondiaux. Elles se caractérisent par leur diversité ethnique et s’efforcent de promouvoir la tolérance raciale. Du fait de leur diversité et de leur ouverture au monde, les villes cosmopolites offrent également des possibilités d’expériences uniques et inédites. La créativité et l’hybridité caractérisent la vie dans ces villes, parfois appelées villes globales, car elles sont habitées par des personnes aux compétences, aux origines et aux cultures plurielles. Cet article examine la participation citoyenne des jeunes à Singapour, à l’école et en dehors de l’école. Il évoque leur participation croissante aux questions sociales et internationales, à l’école à travers l’éducation civique, mais également en dehors de l’école grâce aux potentialités offertes par les réseaux sociaux. Ces évolutions, qui favorisent une ouverture d’esprit, une inclusion et une conscience des droits humains plus grandes, constituent l’essence d’une ville cosmopolite.
S'éduquer aux droits de l'homme et s'engager au Maroc
Chafik Hbila
L’article interroge la place des associations, des réseaux sociaux et de l’école dans l’éducation des jeunes à la citoyenneté et aux droits de l’homme au Maroc. L’analyse s’appuie sur les matériaux d’une étude réalisée dans le cadre du programme d’appui à la société civile Moucharaka Mouwatina, piloté par le United Nations Office for Project Services (UNOPS) et financé par l’Union européenne. D’une durée de quatre ans (2018-2021) et déployé dans quatre régions (Casablanca-Settat, Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Souss-Massa et l’Oriental), ce programme visait à renforcer la contribution effective des organisations de la société civile à la consolidation de l’État de droit, à la démocratisation et au développement socio-économique du Maroc. Il apportait un appui technique et financier aux associations dans les domaines de la jeunesse, de l’égalité femme-homme et de l’environnement.
Des structures éducatives au service de l’engagement démocratique en Suède
Ylva Lindberg
Des initiatives pédagogiques destinées à développer chez les jeunes la capacité de s’engager pour une cause ont progressivement été mises en place en Suède. Cette visée de l’enseignement est ancrée dans un cadre théorique, formulé dans l’ouvrage L’école et l’esthétique radicale [Skolan och den radikala estetiken] (Persson et Thavenius, 2003), qui fait la liaison entre l’engagement et des processus d’apprentissage esthétiques. L’application pratique de ces idées est opérationnalisée à travers des structures poreuses de l’éducation en Suède, qui permettent une écoute de la parole des jeunes et un dialogue critique entre l’école et d’autres domaines de la société. Enfin, la présentation du projet Normstorm [tempête des normes], qui implique des collégiens et des lycéens, illustre la manière dont l’engagement et l’esthétique sont combinés
Socialisation et expériences de la citoyenneté des enfants en France
Bruno Fondeville, Ania Beaumatin, Stéphanie Constans et Véronique Rouyer
Cet article se propose d’explorer les expériences de la citoyenneté auprès d’enfants engagés dans des dispositifs relevant, en France, des politiques d’éducation à la citoyenneté dans deux contextes distincts : le conseil municipal d’enfants et le conseil d’élèves à l’école élémentaire. En se basant sur l’observation de leur fonctionnement et sur les discours des enfants, il met en évidence l’irréductibilité de ces expériences aux objectifs éducatifs formels qui leurs sont assignés. À l’appui du modèle théorique de la « socialisation active, plurielle, conflictuelle et prospective » de Malrieu, cet article examine la complexité des dimensions en jeu dans ces expériences.
Les initiatives jeunesse au Canada : des tiers lieux de l’éducation démocratique
Stéphanie Gaudet
Cet article présente les résultats d’une ethnographie multisite d’initiatives d’éducation démocratique portées par des organisations de la société civile canadienne. Les expériences observées contribuent au projet de démocratie participative et révèlent une hybridité de discours sur l’éducation démocratique libérale, participative, délibérative, multiculturelle, critique et agonistique. Elles représentent des tiers lieux de l’éducation citoyenne, où les jeunes peuvent s’exprimer et apprendre à coconstruire des projets collectifs qui, à différents degrés, amènent une vision singulière de la transformation sociale. Le rôle des adultes qui facilitent ces initiatives y est primordial car ils permettent aux jeunes de les côtoyer sans s’inscrire dans les rapports de pouvoir propres au milieu scolaire.
Éduquer à la citoyenneté : le cas du travail de jeunesse au Royaume-Uni
Janet Batsleer et Harriet Rowley
La recherche Partispace sur les espaces et les styles de participation des jeunes conduite dans huit villes européennes a montré qu’envisager la participation en termes de normes revient à limiter plutôt qu’à élargir le spectre des différentes formes de participation des jeunes. Cette méconnaissance conduit à la pédagogisation et au paternalisme dans les écoles, en réduisant la participation à un acte individuel au lieu de la comprendre comme un processus relationnel et social appris avec les autres et en tension nécessaire avec eux. Cet article explore ces résultats en relation avec le cas du travail de jeunesse britannique. Il en présente le contexte, les tensions clés et montre, à travers quatre exemples, les potentialités qu’offre la reconnaissance des apprentissages effectués dans ce cadre. Pour être ouvert aux processus d'apprentissage social dans le contexte du travail de jeunesse, il faut des professionnels de la jeunesse qui valorisent avant tout la relation, y compris quand elle est conflictuelle, afin que cette expérience devienne source de participation et d'apprentissage.
Des lycéens engagés au Chili. Transformation et transfert de savoirs militants
Angelo Montoni
À partir d’une lecture des vingt dernières années de mobilisations sociales lycéennes au Chili, cet article s’intéresse à la transformation de l’espace des collectifs d’engagement en espace de mouvements sociaux. Est d’abord étudiée l’évolution des formes de représentation lycéenne, passées d’une organisation institutionnelle de représentants de lycéens vers des assemblées territoriales. Est ensuite examinée la mise en place de pratiques contestataires inédites, qui se trouvent au centre des mouvements sociaux chiliens actuels et qui ont une incidence importante sur les biographies collectives des manifestants.
Apprendre par l’engagement : étude de trois exemples de travail de jeunesse en Turquie
Demet Lüküslü, Berrin Osmanoğlu
Cet article s’appuie sur une étude ethnographique de six cadres de participation des jeunes dans la ville étudiante d'Eskişehir, en Turquie. Cette étude poussée permet d’observer les nuances de la participation des jeunes et d’identifier les différences entre elles, ainsi que les relations de pouvoir entre les différents acteurs et institutions concernés. L’article souligne la diversité des contextes de l’engagement des jeunes ainsi que l'importance de les mettre en relation pour les étudier. Le besoin de reconnaissance est un élément clé de l’engagement, lequel comprend une dimension conflictuelle.
Participation informelle et biographies juvéniles en Bulgarie
Siyka Kovacheva
En Bulgarie, les jeunes participent à toute une série d'activités scolaires et extrascolaires qui leur permettent de faire l'expérience de la citoyenneté active. Si la qualité de l'éducation à la citoyenneté dans les écoles bulgares n'est pas élevée et si les conseils d'élèves et les associations de jeunes ne sont pas très populaires, l'éducation à la citoyenneté n'est pas non plus une priorité. Malgré une faible qualité de l'éducation à la citoyenneté et une faible popularité des conseils d'étudiants et des associations de jeunes auprès des jeunes, il existe une grande diversité de réseaux informels et d'actions innovantes par le biais desquels les jeunes s'engagent dans les questions publiques. Les expériences d'apprentissage informel sont le principal moyen par lequel les jeunes bulgares acquièrent des compétences et des aptitudes pour revendiquer leur autonomie dans la société. Le concept d'apprentissage biographique est appliqué à l'analyse de deux parcours biographiques de participation, en se centrant sur la manière dont ces expériences participatives font sens pour les jeunes.
Références bibliographiques
Hélène Beaucher